Éditions Dualpha, collection « Vérités pour l’Histoire » (dirigée par Philippe Randa), 240 pages, 25 €
Elles furent des pionnières de la conquête de l’oued…
Dans la plupart des livres qui racontent l’histoire de l’Algérie française, les principaux personnages sont souvent des militaires, des colons hommes, des journalistes.
Les femmes restent des personnages secondaires, alors qu’elles furent omniprésentes dans cette aventure, que leur rôle dans cette magnifique épopée fut de tout premier ordre.
Pour la première fois peut-être c’est une Algérie française au féminin qui nous est racontée à travers ces femmes qui s’appelaient Madeleine, Ottila, Augustine, Victorine, Joséphine, Blanche ou Marcelle.
Elles côtoierons le danger, la violence, la mort, mais aussi le bonheur. Alors qu’elles vont être parfois confrontées à des hommes à la tchatche facile et sans scrupule, elles ne seront jamais leurs victimes et sauront faire preuve de courage, de pugnacité, pour rester dignes et aller de l’avant.
Tous les personnages dont la vie est retracée dans cet ouvrage ne sont pas sortis de l’imagination de l’auteur, ils ont existé et ce sont eux, ou certains de leurs proches, qui lui ont raconté leurs vies.
Né en 1943 à Alger, Robert Saucourt est arrivé en France le 22 juin 1962, Membre du Cercle algérianiste de Nice, Président de l’Association pour la Mémoire de l’Empire Français (2000- 2018).
Disponible sur FrancePhi Diffusion
Entretien avec Robert Saucourt, auteur de Ces femmes de l’Algérie française aux éditions Dualpha.
FrancePhi Diffusion : Pourquoi s’est-on si peu intéressé aux femmes dans l’histoire de l’Algérie française, d’après vous ?
Robert Saucourt : Lorsque l’on parle de la conquête de l’Algérie et parce que la majorité des livres ne parlent que d’eux, on focalise sur les militaires ou les politiques parce qu’à cette époque, c’étaient deux domaines dans lesquels on ne trouvait pas de femmes. Dans l’histoire de l’Algérie, les premières femmes à être sur le devant de la scène le furent après le 13 mai 1958 lorsque certaines d’entre elles furent élues députés.
Mais je crois que l’on n’a jamais, ou peu, écrit sur le rôle des femmes dans la vie de tous les jours de ces pionniers, depuis le début de l’implantation des Français et pendant toute l’époque de l’Algérie française ; alors qu’elles ont été toujours présentes, que ce soit pour la gestion de la vie familiale, mettre au monde et élever les enfants et bien sûr pour aider leurs maris aux travaux des champs. Il faut également noter que, comme en métropole, les femmes ont, dans toutes sortes de métiers, remplacé les hommes partis à la guerre en 1914 comme en 1939. Ensuite, à partir du débarquement des Anglo-Américains en Afrique du Nord en 1942 et alors que l’on mettait en forme l’armée qui allait débarquer en Provence pour la libération du territoire national, de nombreuses femmes se sont alors engagées dans cette armée que ce soit dans des postes de secrétariat, sur place en Algérie, mais aussi comme infirmières, ambulancières sur les zones de combats.
FP D : Vous sous-titrez votre livre « Elles furent des pionnières de la conquête de l’oued »… Avant la guerre civile d’indépendance, ont-elles réellement connu des dangers physiques… et de quelles natures ?
RS : Comme je le disais précédemment, elles étaient à côté de leurs époux dès le début de la colonisation et ont donc subi avec eux les attaques des tribus arabes contre les villages. Elles ont, elles aussi, résisté les armes à la main aux assauts des brigands, faisant le coup de feu pour défendre leurs familles et leurs biens. Durant ces attaques certaines furent faites prisonnières pour être « offertes » aux chefs de tribus, comme la jeune Jeanne Lanternier enlevée en 1836 par les hommes d’Abd el Kader et que celui-ci a donné en « cadeau » au sultan du Maroc. Elles ont aussi été victimes d’accidents et de toutes ces maladies qui ont tué un très grand nombre de ces pionniers.
FP D : Certains destins des femmes que vous rapportez auraient pu faire d’excellents scénarios de films noirs, non ?
RS : Bien sûr que l’on pourrait faire un film policier sur le « non-mariage » de Blanche et la recherche policière qui s’ensuivit pour retrouver son étrange « fiancé », ou encore un film d’espionnage pour raconter la vie du mari de Marcelle. Mais personnellement je préférerais que soit réalisée une grande fresque historique, façon western, relatant le départ d’Alsace de Madeleine et Joseph, leur périple à travers la France – leur pays qu’ils ne connaissaient pas –, la première fois qu’ils ont vu la mer en arrivant à Toulon, la traversée vers Alger et enfin leur implantation dans ce pays qui ne s’appelait pas encore Algérie. Et bien entendu tous les malheurs qu’ils ont subis une fois sur place, en particulier la mort de Joseph. Mais aussi la réussite de Madeleine après toutes ces épreuves.
FP D : Beaucoup de femmes se sont-elles engagées dans la défense de l’Algérie française ?
RS : Tout à fait, que ce soit dans leurs métiers d’institutrices, d’infirmières, de médecins, tant dans le bled que dans les grandes villes, mais aussi dans l’armée car il ne faut pas oublier les AFAT et PFAT qui suivaient les opérations militaires au volant des ambulances, d’autres qui étaient pilotes d’hélicoptères et qui récupéraient les blessés sur le terrain. Enfin il y a eu celles qui ont rejoint les mouvements de défense de l’Algérie française en étant élues (Babette Lagaillarde, Mlle Sid Cara etc.) et d’autres encore qui se sont engagées dans les mouvements de résistance : le Front de l’Algérie française (FAF) et bien entendu l’OAS, en n’oubliant pas que certaines d’entre elles ont subi, de la part des barbouzes ou des gendarmes mobiles, les mêmes tortures qu’ils appliquaient aux hommes. La figure emblématique de ces femmes est Madame Salasc, épouse d’un médecin d’Alger et secrétaire du réseau OAS du grand Alger. Arrêtée le 9 septembre 1961, elle est conduite à la caserne des Tagarins où elle est interrogée à coups de poing, de cravaches, subissant l’épreuve de la baignoire, de l’électricité. Elle a pu être sauvée et hospitalisée mais dans un état physique lamentable.
Que l’on soit pour ou contre l’Algérie française, l’histoire est l’histoire et reste ce qu’elle est. Aucun pan d’une histoire ne doit être écarté. Une histoire est faite de grandeurs, mais aussi d’horreurs. Je suis allé en Algérie en 1992 et en 1993, à Alger, dans la mitidja et en Kabylie, j’y ai encore vu avec nostalgie de nombreux vestiges de la présence française, dont des fermes abandonnées, des boîtes aux lettres avec des noms délavés par le temps, les villas construites par les Français, des hauteurs d’Alger, alors qu’intellectuellement ma famille et moi, avons toujours été contre la colonisation. J’ai aussi vu à Marseille et à Nice, la détresse des pieds-noirs du peuple fuyant l’Algérie, à laquelle, bien qu’adolescent, je n’étais pas insensible. Ma mère m’a aussi souvent raconté l’histoire de mon arrière grand-père breton, instituteur en Algérie, marié à une » indigène », comme on disait alors. J’ai moi-même été marié à une Algérienne et deux de mes enfants, sont partagés entre l’histoire de leur maman et ma propre histoire.