Ceux qui ont apprécié la lecture de la biographie hagiographique en deux tomes de Niall Ferguson de Kissinger, applaudiront en lui le premier Secrétaire d’État Juif, l’auteur de la détente avec la Chine communiste et l’Union soviétique. À l’opposé, des politologues comme Seymour Hersh et Christopher Hitchens ont mis en avant toute une série de crimes de guerre au Vietnam, au Bangladesh, au Chili, à Chypre et au Timor Oriental, marquée par une totale absence de considération pour les souffrances et pertes démesurées en vies humaines.
Peu de chance pourtant qu’il ne soit jamais poursuivi – contrairement à un Augusto Pinochet, l’un de ses proches acolytes – après tout, ses politiques ont été concoctées à la Maison-Blanche qui semble bénéficier d’une éternelle virginité diplomatique.
Pourtant, même des auteurs qu’on pourrait situer entre ces deux points de vue extrêmes, comme Walter Isaacson ou Gil Trov, ont fait état de récits troublants témoignant de la manière très spéciale dont Heinz Alfred Kissinger [NdT : son nom de naissance], né à Fürth en Allemagne, s’est bâti une fortune et une renommée mondiale.
Le patronyme de la famille était originellement Löb, mais il a été changé par l’arrière-arrière-grand-père, Meyer, qui trouvait que Kissinger, en évoquant la station thermale bavaroise réputée de Bad Kissingen, sonnait nettement mieux.
C’est bien à l’image de la carrière de Kissinger, qu’on peut tout entière voir comme l’imposture d’un arriviste sans grand-chose d’authentique derrière. Son quasi-centenaire est parfaitement illustré par une publicité à la télévision de novembre 2001, destinée à faire revenir les touristes à Manhattan après les attentats du 11 septembre.
La pub montre un sosie de Kissinger dans le Yankee Stadium, qui tel un joueur de baseball, lance la balle, court autour de la base et vient s’aplatir ventre en avant sur le marbre de la plaque d’arrivée dans son camp, le « home plate ».
Tout dans cette publicité est factice, à commencer sans doute par son célèbre accent étranger : comme n’ont pas manqué de le remarquer les biographes, le frère de Kissinger, Walter, plus jeune d’un an, arrivé comme Henry en Amérique avec toute la famille en 1938, parlait un américain courant sans la moindre trace d’accent, tandis que son ainé choisissait de cultiver ses tournures et sonorités atrocement teutoniques. [NdT: encore un exemple de famille juive partie d’Allemagne, voir aussi l’exemple du médecin Juif d’Hitler ou même le cas du gosse de Varsovie]
Tout en acceptant les distinctions honorifiques des organisations juives, Kissinger a eu des comportements et tenu des propos qui l’ont éloigné de certains membres de sa communauté.
En 1985, il soutenait publiquement le dépôt d’une gerbe commémorative par Ronald Reagan lors d’une cérémonie militaire au cimetière de Bitburg, en Allemagne de l’Ouest, dans lequel reposaient des Waffen SS.
Kissinger s’est déclaré contre un mémorial de l’Holocauste aux États-Unis, parce qu’un tel monument à proximité du National Mail de Washington pourrait offrir aux Juifs d’Amérique une visibilité malvenue au premier plan de la scène nationale, propre à rallumer les feux de l’antisémitisme.
Dans ses déclarations, l’une de mars 1973 a provoqué un tollé au moment où elle a été rendue publique en 2010. Enregistrée lors d’une conversation avec Richard Nixon, peu après une rencontre avec la Première Ministre israélienne Golda Meir, Kissinger repoussait avec dédain l’idée de faire pression sur l’URSS au sujet des Juifs soviétiques persécutés, affirmant que :
« L’émigration juive d’Union soviétique n’est pas un objectif de la politique étrangère américaine, si les Soviétiques mettaient les Juifs dans des chambres à gaz, ce ne serait pas une préoccupation de la politique américaine, à la rigueur, une préoccupation humanitaire ».
Et Nixon de répondre :
« Je sais, on ne va pas faire sauter le monde pour ça ».
[NdT : on retrouve une avalanche d’articles sur le sujet, mais pas l’enregistrement lui-même censé se trouver ici : Richard Nixon Presidential Library and Museum | Richard Nixon Museum and Library (nixonlibrary.gov). Voici quand même un enregistrement dans le même esprit, il date de 2011 :
De plus, on trouve aussi des déclarations de Kissinger pour s’excuser de sa remarque sur les chambres à gaz, c’est donc bien qu’il l’a faite : Henry Kissinger apologizes for gas chambers remark – The Australian Jewish News (timesofisrael.com)]
En 2011, des documents du Département d’État de 1972 demeurés jusque-là classifiés, révélaient de même que Kissinger s’irritait de l’inquiétude exprimée par les Juifs d’Amérique sur le sort des refuzniks, qualifiant les premiers de « salauds d’égoïste ».
Walter Isaacson se faisait pour sa part l’écho d’une réunion, à l’époque [où Kissinger était Secrétaire d’État], du Washington Special Actions Group, une cellule de crise du gouvernement, au cours de laquelle Kissinger aurait marmonné :
« N’était-ce l’accident de ma naissance, je serais antisémite. »
Et il ajoutait :
« Des gens qu’on persécute depuis deux mille ans ne peuvent pas être innocents de tout. »
À l’époque de la guerre du Vietnam, en octobre 1973, au cours d’une conversation avec l’assistant adjoint à la sécurité nationale du président, Bent Scowcroft, Kissinger trouvait que les Juifs d’Amérique et les Israéliens étaient aussi « insupportables que les Vietnamiens ».
Toujours en 1973, dans la retranscription d’une conversation téléphonique de novembre, on voit Kissinger déclarer : « Je vais devenir le premier Juif accusé d’antisémitisme », une saillie qui reflète d’ailleurs sa méconnaissance du concept de haine de soi des Juifs fixé par l’historien de la culture Sander Gilman mais dont Theodor Herzl témoignait déjà dans son État juif en 1896.
Il se moquait aussi des défenseurs des Juifs, en particulier ceux qui défendaient les Israéliens, l’une de ses cibles favorites étant le conseiller présidentiel Daniel Patrick Moynihan dont les positions fortement en faveur d’Israël ont inspiré ce commentaire à Kissinger : « Ici, on est là pour faire de la politique étrangère, on n’est pas dans une synagogue ». Il poursuivait en s’inquiétant de savoir si Moynihan, catholique irlandais, avait l’intention de se convertir au judaïsme.
L’une de ses premières actions à son arrivée au Département d’État aura été de supprimer aux employés Juifs, leurs congés pour les fêtes de Roch Hachana et du Yom Kippour et on l’a rarement vu commémorer, ou même seulement mentionner, l’Holocauste.
À tel point que Le rabbin Lamm faisant remarquer dès décembre 1975 que le Kavod (l’honneur des Juifs) s’en porterait mieux si Kissinger acceptait de couper ses derniers liens avec la maison de Jacob et de ses fils.
Benjamin Ivry
Traduction : Jeune Nation
Source : Kissinger at 98 : Not exactly a hero for the Jews – The Forward
Pour moi il n’y a pas de Kissinger qui penserait mieux qu’un Bernard Henri Levy, par exemple. Il n’y a pas de juif de droite qui serait à considérer par rapport à un juif de gauche. Il y a, de leur part, un objectif précis à atteindre. Ce sont les deux manches d’une même tenaille.
Et c’est ainsi que de Bad Kissingen on passe à Bad Kissinger!
A propos de Kissinger, raconté par JF Deniau
http://abimopectore.over-blog.com/article-16441562.html
Eh bien il remonte dans mon estime Harry. Un pragmatique disciple de Bernard LAZARE. Ses origines lui donnaient le droit, sans risquer d’être traité d’antisémite, de ne guère être impressionné par la pleurniche de ses coreligionnaires ! Mais je remarque que les soviétiques ont fait la même erreur que les nationaux socialistes allemands. Il ne faut jamais empêcher ceux qui veulent partir de le faire. S’ils savaient le service qu’ils nous rendent en votant avec leurs pieds, ils demanderaient de l’argent pour partir !
Moi aussi, comme Momo, je trouve tout-à-coup bien sympathique ce Henry Kissinger dont je n’avais jamais su quoi trop penser, et dont j’ignorais tout ce que révèle l’article !
Et cette phrase vaut la peine qu’on s’en souvienne :
« Des gens qu’on persécute depuis deux mille ans ne peuvent pas être innocents de tout ».
J’ajouterais que le problème, c’est qu’après deux mille ans de diaspora aux quatre coins du monde, où ils se sont fait remarquer partout, ils n’ont jamais changé en rien nulle part au bout de tout ce temps !