Il existe deux Alfred Naujocks, l’un réel dont la confession sous serment au Tribunal Militaire international a permis de condamner l’Allemagne nazie et ses dirigeants pour crime contre la paix, l’autre, imaginaire, victime d’un meurtre dans un épisode de la série Derrick, Naujocks trauriges Ende (dont le prénom est aussi Alfred), l’épisode est le 137e de la série, il sort en février 1986.
Et le problème, c’est que cette coïncidence qui n’en est pas une sent le roussi, elle sent même franchement le brûlé, le soufre: se pourrait-il que des Allemands se permettent, dans une série grand public, en Allemagne même, de défier discrètement le Tribunal Militaire International, de persifler dans son dos ?
D’abord, est-ce que la formule convenue des romans et films policiers « toute ressemblance avec des personnages réels ou ayant existé serait pure coïncidence » est ici recevable ?
Il faut se mettre à la place du scénariste de la série, Herbert Reinecker, il lui faut toujours trouver des noms qui sonnent juste mais qui de préférence ne soient pas réellement portés par quelqu’un. Ce n’est pas si facile à faire, l’onomastique a ses lois et immanquablement, on a tendance à retomber dans les ornières du réel.
Tant qu’à faire, autant ne pas chercher à éviter le réel, mais à s’en servir, pour un nom comme Naujocks, il est clair que la possibilité d’imaginer un nom aussi tordu est faible, la probabilité qu’il soit ensuite combiné avec un prénom qui en fasse un nom déjà porté est infinitésimale.
Remarquons qu’Alfred Naujocks, le vrai, est né en 1911 à Kiel, Herbert Reinecker est né en 1914, Naujock rentre à la SS en 1931 puis au SD en 1934. Reinecker entre dans les jeunesse hitlériennes en 1934. Il devient en 1934 rédacteur en chef de Jungvolk-Zeitschrift, un mensuel berlinois destiné à propager l’idéologie nazie dans la jeunesse. En 1938, il devient rédacteur du « Pimpf », une revue destinée à la jeunesse hitlérienne. En 1939, il publie « Der Mann der Geige » (L’homme au violon), un roman historique qui remporte un tel succès que Goebbels le prend sous son aile (notons au passage que dans le premier épisode de Derrick, la directrice de l’internat s’appelle … Madame Goebbels).
Surtout, le 31 août 1939, Alfred Naujocks participe – selon sa confession à Nuremberg – à une opération sous faux drapeau en Pologne tandis que Reinecker entre dans la SS en 1940 et publie un recueil de témoignages de tankistes allemands durant la campagne de Pologne : Panzer nach vorn! Panzermänner erzählen vom Feldzug in Polen, (paru en 1940).
Enfin, Alfred Naujocks, après la guerre, réussit à vendre son histoire de faux drapeau à la presse en se présentant comme « l’homme qui a déclenché la Seconde Guerre mondiale ». Pure vantardise, mais qui suivait bien le raisonnement du Tribunal de Nuremberg: l’Allemagne était la seule responsable de la guerre par son invasion de la Pologne, or, son invasion n’était justifiée que par une opération sous faux drapeau, l’incident de la station radio de Gleiwitz, et c’est Alfred Naujock qu’on avait chargé de l’opération, donc, c’est là lui qu’on doit la guerre, CQFD et c’est ce qui le fait connaître du grand public.
Herbert Reinecker, de son côté, devient un écrivain, journaliste et scénariste absolument prolifique … et il a besoin de trouver des noms, or, le parallélisme des deux parcours montre clairement qu’Herbert n’a pas eu à chercher très loin son « Alfred Naujocks » du 137e épisode de sa série Derrick en 1986, et comme Naujocks est décédé pile 20 ans plus tôt, en 1966, d’une crise cardiaque, ça ne risque plus de poser problème.
Mais là où ça devient franchement sulfureux, c’est que ce choix de nom n’est peut-être pas gratuit, dans Naujocks trauriges Ende il est aussi question d’une fausse confession de culpabilité pour dédouaner le vrai criminel, et cette fausse confession, Derrick la déjoue et, dans la scène finale, la déchire de façon ostensible avant de la jeter de manière théâtrale par-dessus son épaule.
Or, la fausse confession dans Derrick était nettement plus crédible que celle du vrai Alfred Naujocks à Nuremberg, nous renvoyons à l’analyse qu’en fait Carolyn Yeager mais voici ses arguments dans les grandes lignes:
1 – Hitler, dans sa déclaration de guerre à la Pologne ne fait pas mention de l’incident à la station radio de Gleiwitz, par contraste, ce qu’a fait Franklin Delano Roosevelt pour sa déclaration de guerre au Japon suite à Pearl Harbor donne une idée de ce qu’aurait été une véritable exploitation d’un événement (dans le cas de Pearl Harbor ce n’était pas à proprement parler un faux drapeau, mais le coup était tellement provoqué, que cela revient presque à ça). Goebbels non plus n’exploite pas l’incident.
2 – Hitler fait état de vraies raisons de fond :
- le corridor de Dantzig, un réel problème et une injustice dont il n’est pas l’auteur mais qui vient du Traité de Versailles et qui n’avait pas d’autre but que de couper l’Allemagne orientale, un sujet sur lequel la Pologne se montrait intransigeante, poussée par ses garants (l’Angleterre, la France et les USA),
- et surtout, le nettoyage ethnique en cours de la Pologne contre la population de souche germanique.
Ces faits étaient connus de tous à l’époque et il n’y avait nul besoin d’en rajouter.
3 – L’incident de Gleiwitz a lieu le 31 août en fin de journée, l’invasion de la Pologne démarre à 4h30 le 1er septembre, il est donc matériellement impossible que l’invasion soit provoquée par ledit incident.
Aucun historien n’est jamais venu interroger Naujocks après la guerre, preuve que cette histoire, d’ailleurs tombée dans l’oubli, n’a jamais été prise au sérieux, à Nuremberg, ce sont surtout les Alliés qui avaient besoin de s’exonérer de leur propre responsabilité dans le déclenchement de la guerre et de toutes ses horreurs et violence de masse qui ont suivi, la confession est donc effectivement bonne à déchirer et à jeter.
Pour terminer, on peut aussi se demander si dans l’idée de Reinecker, Derrick déchire symboliquement la confession du vrai Naujocks à Nuremberg, l’exercice est assez périlleux à faire, il vaut ce qu’il vaut, mais voici ce que ça donne d’un premier jet :
Il y a dans l’épisode un personnage puissant et sans morale, c’est autour de lui que tourne l’histoire, il pourrait symboliser les USA. Il a deux enfants adoptifs, une fille et un fils tous deux déjà adultes, il couche avec la fille. La fille pourrait symboliser la RFA, le fils, en revanche, qui déteste le père adoptif, qui veut le tuer mais qui s’est trompé en tuant Naujocks (le fictif, pas celui de Nuremberg), pourrait symboliser la RDA prussienne. La grand-mère des deux petits-enfants, qui soutient son petit-fils et qui fait la fausse confession de culpabilité en sa faveur, a, elle, l’âge de symboliser l’Allemagne du Troisième Reich, elle aussi déteste le père adoptif de ses petits-enfants.
Comme Reinecker est décédé en 2007, on ne pourra jamais le lui demander, au moins, cela nous permet de faire quelques spéculations et surtout, de souhaiter à l’Allemagne retrouver sa souveraineté et à son peuple sa dignité.
Pour aller plus loin :
Pologne, Gleiwitz le 31 août 1939 : le faux « faux drapeau »
Franchement, j’ai du mal à comprendre votre germanophilie. L’Allemagne a toujours été hostile à tous ses voisins, la FRANCE bien entendu, mais aussi la Pologne, la Tchécoslovaquie et même de petits pays neutres comme les pays bas ou la Belgique. Elle a aussi fait la guerre au 19 ème siècle au Danemark et à l’Autriche-Hongrie. Pendant la seconde guerre mondiale, les allemands étaient persuadés de faire partie d’une « race supérieure » (tiens, tiens, comme un autre peuple, comme l’a très bien compris KEVIN Mc DONALD) et traitaient très mal les prisonniers de guerre russes, d’après mon père, qui à l’époque était STO (à CHEMNITZ, dans les usines BIERCKY qui fabriquaient les canons des JU 88, puis dans un combinat agricole à SAALFELD AM SAAL. Franchement, quand je vois de quelle manière se conduisent les allemands avec leurs travailleurs détachés des anciens pays communistes et le résultat de la politique de la monnaie unique qu’ils nous imposent sur les pays d’Europe du sud, je n’ai aucune raisons de les trouver sympathiques. S’ils sont unanimement détestés, il doit bien y avoir une raison ! Je ne fais que vous exposer mon point de vue de petit blanc, dépourvu de certificat d’aryenité.
La Tchécoslovaquie est une création récente juste après la 1ère Guerre, quant à la Belgique si elle se fait envahir c’est pas seulement parce que cela permet la facilitation de la « Blitzgrieg » mais surtout parce que La Belgique est sources d’intrigues contre l’Allemagne comme l’avait fait La Pologne précédemment.
La Belgique s’était ralliée en douce aux Français et Anglais, il était avéré qu’elle laisserait passer les troupes Alliés.
Pour ce qui est des Pays-Bas je n’ai pas d’explication, plus tard la Norvège et le Danemark même problème qu’avec la Pologne et la Belgique.
On relèvera que la Suisse ne fut jamais inquiétée par le Reich soi-disant conquérant, laisser ce bout de terre Libre en plein milieu d’un fabuleux Empire devait faire tâche ? n’est-ce pas étrange ?
Pour des nazis belliqueux, pourquoi ne pas les incorporer dans le Reich ?
Tout simplement parce que ce pays ne faisait pas étalage de complots.
Faut rappeler que c’est la France qui déclare la Guerre en 1939. optant une stratégie défensive avec sa ligne Maginot et acheminant d’avantage de troupes coloniales en Europe.
L’Allemagne ne pouvait qu’attaquer un ennemi qui opte sur la durée pour se renforcer, là où l’Allemagne n’a pas le luxe de ressources gigantesques.
Pour ce qui est d’aujourd’hui, si les autres pays sont assez stupides comme la France de servir contre leurs intérêts, faut pas blâmer les Allemands qui restent pragmatiques.
De plus, l’acteur qui jouait Derrick, Horst Tappert, a été membre de la division SS Totenkopf. Donc l’inspecteur Derrick, l’anti Colombo !