La conférence de paix « Genève II » sur la Syrie s’ouvre ce mercredi à Montreux, en Suisse, avant de se poursuivre à partir de vendredi à Genève. Pour la première fois depuis le déclenchement de la guerre en mars 2011, une partie des forces en lutte se retrouveront.
L’opposition morcelée
Si le pouvoir syrien a confirmé sa participation, refusant toute condition préalable, du côté des rebelles, la situation est extrêmement variée. La seule force d’opposition politique clairement identifiée et active militairement, les islamistes de l’État islamique en Syrie et au Levant (EIIL) n’y participera pas. Concernant les autres groupes, l’approche de la conférence ravive des tensions déjà nombreuses, entre les multiples groupes.
La Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution (CNFOR), également appelée Coalition nationale syrienne) a voté sa participation malgré les menaces de scission d’une partie de ses membres. Ces menaces ont été mises à exécution peu après : le Conseil national syrien (CNS), qui était la principale composante de la coalition a annoncé qu’il s’en retirait et qu’il ne participerait à la conférence. Contrairement au gouvernement syrien et à l’EIIL, qui représentent de véritables forces, la CNFOR comme le CNS sont essentiellement des mouvements politiques d’exil, représentant pas ou peu les forces militaires et politiques sur le terrain. Les groupes engagés dans la guerre civile paraissent dans leur majorité ne pas se sentir représentés par la Coalition. C’est le cas du Comité de coordination nationale pour les forces de changement démocratique (CCND) qui a refusé d’être représenté à la conférence de paix.
Le problème kurde
Enfin, l’opposition se heurte au problème kurde. Les Kurdes ne reconnaissent plus d’autre autorité que la leur et rêvent de la fondation d’un État kurde, en profitant de la déstabilisation de la Syrie et de l’Irak. Les représentants kurdes sont absents des différentes formes d’organisation des rebelles et n’ont pas été invités à la conférence de paix. Ils n’ont pu imposer que le problème kurde y soit posé, ce qu’ils souhaitaient faire dans sa globalité, en dénonçant les frontières et l’attitude des États turc et iranien en plus de la situation en Syrie.
Un gouvernement indépendant kurde a été proclamé hier, à la veille de l’ouverture des négociations, sous l’égide du Parti de l’union démocratique (PYD), parti proche du Parti des travailleurs kurdes (PKK) actif en Turquie, où il est considéré comme un mouvement terroriste.
L’Iran au cœur des débats
La venue de la Coalition à Genève est la conséquence directe de l’influence d’une part des monarchies du Golfe – l’Arabie séoudite et le Qatar se livrent une violente lutte d’influence pour mettre la main sur la rébellion – et d’autre part des gouvernements regroupés autour des États-Unis. Ces « Amis de la Syrie », qui sont les principaux financiers de la rébellion, ont fortement insisté pour que la Coalition soit présente. Le choix n’a pas été difficile à faire entre des mouvements de résistance intérieur qui refusent Genève II et qui ne considèrent déjà pas la Coalition comme représentative et ceux qui la financent et lui promettent leur appui.
Poussée par sa frange radicale refusant toute discussion avec le gouvernement syrien, la Coalition avait imposé au fil des semaines de multiples conditions à sa venue : l’arrêt des combats pendant les négociations, une date programmée pour le départ de Bachar el-Assad, l’exclusion de l’Iran, l’accès aux zones assiégées pour les organisations humanitaires, la libération des prisonniers politiques et la reconnaissance d’une transition politique à venir notamment.
Seule l’exclusion de l’Iran a été obtenue in extremis : la Coalition a dû renoncer à toutes les autres conditions, que ni elle ni ses alliés ne sont en mesure d’imposer, tant elle est loin de représenter une alternative politique crédible en cas de sortie de conflit. Un recul que beaucoup, au sein de la rébellion, n’ont pas toléré.
Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon avait négocié la venue de l’Iran, avant d’annoncer son exclusion au motif fallacieux que le gouvernement iranien avait évoqué sa venue en refusant toute condition préalable. Un prétexte puisque c’est la position d’autres intervenants, à commencer par Bachar el-Assad qui a annoncé en début de semaine :
« Je considère que rien n’empêche que je me porte candidat et si l’opinion le souhaite, je n’hésiterai pas une seconde à le faire. Bref, on peut dire qu’il y a de fortes chances que je me porte candidat ».
C’est devant les menaces de retrait de la Coalition que l’Iran a été exclue de la conférence de paix. Ce revirement de Ban Ki-Moon, qui s’est ainsi totalement aligné sur les positions des rebelles et des Américains, a été qualifié d’ « erreur impardonnable » par le ministre russe des Affaires étrangères. Sergueï Lavrov a rappelé l’importance du rôle joué par l’Iran dans ce conflit mais aussi globalement comme puissance régionale. C’est une bien petite victoire obtenue par la Coalition et les États-Unis, dont les seules victimes seront les civils syriens en repoussant un véritable règlement du conflit.
Face à l’éclatement de l’opposition et son affaiblissement, ils ne pouvaient prendre le risque de se retrouver face à un gouvernement syrien uni, soutenu par une Russie sûre d’elle-même et un Iran en passe de devenir le maître du jeu géopolitique régional.
France-Israël
La voix de l’Iran, sauf surprise, ne sera pas entendue. D’autres voix étonnent par leur silence. Celle d’Israël tout d’abord. L’entité sioniste est pourtant engagée militairement dans le conflit : l’aviation israélienne a mené un raid il y a quelques semaines sur le territoire syrien et des officiers israéliens auraient été ou seraient à l’œuvre en Syrie. Quelles que soient les préférences du gouvernement juif – qui rejette Bachar el-Assad mais qui n’a probablement pas plus intérêt à voir naître un régime islamiste à sa frontière – l’absence officielle de cette puissance régionale d’habitude incontournable reste étonnante.
L’autre absence remarquée, c’est celle de la France. Notre diplomatie à part quelques indices rappelant qu’elle reste déterminée par les choix américains, séoudiens et qataris, apparaît totalement en marge des véritables discussions. Une position de retrait et de suivisme regrettable dans une région où s’éteint le peu d’influence française qui y demeurait, moins par fatalité que par des (non-)choix désastreux.
Gross Propaganda à CNN
Les manipulations et manœuvres d’intoxication se sont accélérées à la veille de l’ouverture de la conférence. La chaîne d’information américaine CNN a prétendu révéler un rapport contenant des « preuves directes » de « torture et meurtre systématiques ». Il ne s’agissait en réalité que de photos fournies par une source incertaine, isolée et non-confirmée, d’un homme qui « aurait travaillé », qui « prétend avoir photographié pas moins de 50 corps par jour » précise l’AFP en usant du conditionnel. Conditionnel également utilisé par l’un des auteurs de ce prétendu « rapport » : « Cette preuve pourrait étayer une accusation » alors même que, toujours de l’aveu de l’AFP, « CNN déclare ne pas pouvoir confirmer l’authenticité de ces photos et des témoignages qui figurent dans le rapport ».
Les officiels américains ont multiplié les déclarations offensantes contre Bachar el-Assad, dont ils craignent la réélection en cas de vote en milieu d’année.
La chronique d’un échec annoncé
Sur le terrain la guerre se poursuit, avec la multiplication des attentats terroristes devenus quotidiens comme en Irak, comme en Afghanistan. Comme dans ces pays, les États-Unis qui avaient cru pouvoir se servir des islamistes n’ont fait qu’armer et financer un ennemi incontrôlable. En début de semaine, un double-attentat au poste-frontière de Bab al-Hawa, tenus par les insurgés, a fait au moins seize morts et une vingtaine de blessés. Les combats internes entre les factions ennemies de la rébellion se poursuivaient dans la province d’Alep, avec la prise de l’aéroport militaire de Jarrah (est) par l’EIIL et un retrait à l’ouest. L’État islamique en Irak et au Levant a imposé la charia dans la province de Rakka, dans le nord-est du pays.
Genève II s’avère déjà être un échec par l’absence de la plupart des forces d’opposition comme de l’Iran. Elle est un échec pour les rebelles et leurs soutiens qui n’ont pas réussi à imposer une seule condition avant la tenue de la conférence de paix, malgré les propos contraires de Ban Ki-Moon ou de divers gouvernements pro-rébellion. Le départ de Bachar el-Assad n’est pas à l’ordre du jour ; la reconnaissance d’un gouvernement de transition l’est encore moins, alors que l’opposition est plus divisée que jamais. Au contraire, le régime syrien pourrait parvenir à faire de la lutte contre le terrorisme islamique l’un des principaux sujets de discussion. Loin des déclarations d’intentions, Genève II ne réglera sans doute rien des principaux problèmes politiques ; peut-être les belligérants sauront-ils s’entendre sur quelques autres problèmes posés : les centaines de milliers réfugiés, l’aide humanitaire aux populations civiles ou le sort des prisonniers. Tout ça pour ça ?