Avant Corneliu Z. Codreanu, la Roumanie semblait un désert indéfini et ceux qui vivaient entre ciel et terre n’avaient rien d’autre à faire que d’attendre. Il fallait que quelqu’un vienne. Nous étions tous de passage dans ce désert, incapables de tout. Même le mépris paraissait encore un effort trop grand. À nos yeux, le pays était une énigme qu’il nous fallait résoudre. Parfois, lorsque l’espoir nous échappait, nous justifiions momentanément son existence comme une illusion bien faite. Et la Roumanie n’était rien d’autre qu’une illusion bien faite. On errait librement, détaché du passé et du présent, bercé du doux chaos du nihilisme. Le pauvre pays n’était plus qu’une longue intermittence entre un début sans gloire et un possible incertain.
En nous, l’avenir languissait, mais en lui il bouillait. Cet homme a troublé le morne silence de nos existences et nous a forcés d’être. Les vertus du peuple roumain, d’un coup se sont incarnées en lui. La Roumanie passait de la possibilité à la réalité.
J’ai eu quelques conversations avec Corneliu Codreanu. Ma première impression a été que je parlais enfin à un homme dans un pays plein d’insignifiants. Sa présence était dérangeante et je ne ressortais jamais de chez lui sans sentir sur ma nuque ce souffle persistant qui me disait que j’arrivais à un carrefour de la vie, pénétré d’un pressentiment étrange qui me faisait frissonner d’effroi et d’enthousiasme.
Les livres avec leurs dédales sans fin de subtilité tortueuse me paraissait un monde creux et vain, l’intelligence même avait perdu son prestige. Le Capitaine n’était pas affecté par les vices et les maux qui taraudaient le soi-disant intellectuel roumain. Le capitaine n’était pas « brillant ». Le Capitaine était profond.
Le désastre spirituel du pays est le résultat d’une intelligence imbue d’elle-même qui ne sait plus sentir la substance. La perte de contact de l’esprit avec tout contenu transforme les problèmes réels en notions abstraites et prive l’esprit de son destin, même la souffrance finit par devenir insignifiante.
Mais les idées du Capitaine, denses et peu nombreuses, naissaient de sa Foi. Elles prenaient vie quelque part, très loin d’ici. D’ici, on aurait dit un univers du cœur, un univers des yeux et des pensées. Quand, en 1934, je lui disais que sa biographie serait passionnante, il m’a répondu : «Je ne passe pas beaucoup de temps dans les bibliothèques. Je n’aime pas lire. Je me contente de m’asseoir et de penser ». Ses pensées tendaient vers l’action. En elles, la nature et le ciel respiraient. Et lorsque ces pensées ont commencé à se concrétiser, le socle historique de notre pays a tremblé.
Le capitaine Codreanu ne s’arrêtait pas aux problèmes immédiats de la Roumanie contemporaine. C’était trop peu. Cela n’aurait pas correspondu aux dimensions de sa vision et n’aurait pas répondu à nos attentes. Il formulait le problème en termes définitifs, dans la globalité de notre devenir national. Il ne voulait pas décrasser nos existences, mais introduire l’absolu dans la respiration de la Roumanie.
Il ne s’agissait pas d’une révolution confinée à un moment de l’histoire, mais d’une révolution de l’histoire elle-même. La Légion ne devait pas seulement créer la Roumanie, mais aussi racheter son passé, combler son vide, rattraper d’un trait d’une folle inspiration tout le temps perdu.
Dans un moment de faiblesse, j’avouai au Capitaine:
«Capitaine, je crois que la Roumanie n’a aucune raison d’être dans ce monde. Il n’y a pas un seul signe dans son passé qui justifierait un tel espoir».
«Vous avez raison», dit-il. «Il y a cependant quelques signes».
« Le mouvement légionnaire? », ai-je demandé.
Puis, il m’a montré comment il voyait la renaissance de nos vertus daciennes. Et j’ai compris que des Daciens aux Légionnaires, il y avait eu cette longue léthargie de nos êtres et que nous vivons le deuxième commencement de la Roumanie.
Le capitaine donnait un but au Roumain. Avant lui, le Roumain n’était qu’un Roumain, c’est-à-dire un débris à la dérive sur un océan d’humiliations. Le Légionnaire est un Roumain avec de la substance, un Roumain dangereux, une fatalité pour lui-même et pour les autres, une tempête menaçante. La Garde de Fer, une forêt fanatique… Le Légionnaire doit être un homme dont la fierté ne connaît pas de repos.
Nous étions habitués au patriote de rencontre, fuyant et stérile. Voilà qu’apparaît à sa place un individu d’une tout autre trempe spirituelle, qui regarde le pays et ses problèmes avec une détermination sans faille.
Celui qui a su donner au pays une autre direction et une autre structure, réunissait en lui la passion brute et le détachement de l’esprit. Ses solutions valaient pour le présent et pour l’avenir. Jamais l’histoire n’avait connu de visionnaire avec un esprit plus pratique et autant d’habileté, habité d’une telle sainte personnalité. De même, l’histoire n’avait pas connu d’autre mouvement où le problème du salut allait à ce point de pair avec celui de l’action sur Terre.
Agir et se sauver, faire de la politique et pratiquer la mystique, c’était tout à la fois. Il s’est intéressé, à parts égales, à la construction d’une cantine et à la nature du péché, au commerce et à la foi. Personne ne doit l’oublier : Le Capitaine agissait dans l’histoire enraciné dans l’Absolu !
Tout le monde pensait l’avoir compris. Mais il échappait à tout le monde. Il dépassait toutes les limites. Au mouvement qu’il a créé, il a insufflé un état d’esprit, inculqué un mode de vie, qui sont venus à bout de toutes les résistances de la société roumaine, de son apathie, de sa léthargie. C’était trop grand. On a parfois tendance à croire qu’il ne s’est pas remis du conflit de sa grandeur avec notre tiédeur. Il n’en est pas moins vrai que l’ère des bouleversements qu’il a mis en branle a révélé des caractères que l’utopie la plus folle n’aurait pu laisser entrevoir.
À une nation de servants, il a appris l’honneur, à un troupeau d’invertébrés, il a inoculé le courage. Son influence n’a pas seulement enhardi ses disciples, mais aussi, d’une certaine manière, ses ennemis. Car les petites cloportes sont devenues des monstres. Il les a obligés à s’endurcir, à se forger un caractère, à devenir des figures du mal. Ils ne seraient pas devenus de telles caricatures de l’enfer si la grandeur du Capitaine n’avait pas exigé un équivalent symétrique dans le négatif. Nous serions injustes envers les bourreaux si nous les considérions comme des perdants. Chacun avait un rôle qu’il a joué. Eux, pour un peu, ils auraient rendu le diable jaloux.
Au voisinage du Capitaine, personne ne restait indifférent. Un nouveau frisson de grandeur traversait le pays. La souffrance devenait la mesure de la valeur, de la mort et de la foi. En quelques années, la Roumanie a connu une onde dont l’intensité tragique consolait d’un coup des mille ans de lâcheté. La foi d’un homme a donné naissance à un monde qui laissait derrière lui les tragédies de Shakespeare. Et cela se passait dans les Balkans !
Dans l’absolu, si je devais choisir entre la Roumanie et le Capitaine, je n’hésiterais pas.
Après sa mort, nous nous sommes tous sentis orphelins, mais au-dessus de notre solitude s’élevait plus haut que tout celle de la Roumanie.
Même une plume trempée dans l’encre du malheur ne pourrait décrire notre désarroi. Mais nous pouvons lâchement tenter de nous réconforter. En dehors du Christ, il n’y a pas un seul mort plus présent parmi les vivants. Pourrait-on même l’oublier ? « Désormais, le pays sera dirigé par un mort », m’a dit un ami sur les bords de la Seine.
Ce mort fait souffler un vent d’éternité sur notre servitude misérable et remis du ciel au-dessus de la Roumanie.
Traduction : Jeune Nation