Le livre ou rouleau d’Esther (hébreu : מגילת אסתר Meguilat Esther) est le vingt-et-unième livre de la Bible hébraïque. Il fait partie des Ketouvim selon la tradition juive et des Livres historiques de l’Ancien Testament selon la tradition chrétienne.
Il rapporte une série d’événements se déroulant sur plusieurs années : Esther, d’origine juive, devient la favorite du souverain, Assuérus. Or, sous son règne, le grand vizir — Haman — obtient de pouvoir exterminer toute la population juive, qu’il considère comme séditieuse et dangereuse pour la sécurité de l’empire, soit selon le texte traditionnel un chiffre symbolique de six millions d’individus. Devant pareille menace, Mardochée fait appel à sa nièce Esther afin qu’elle obtienne du roi l’annulation du décret qui les condamne. Le roi — informé par Esther — prend toutes les mesures nécessaires pour protéger la population juive, et condamne le vizir, ainsi que tous ses fils, à être pendus au poteau destiné initialement à Mardochée. Enfin, les Juifs instaurent une fête annuelle, appelée Pourim, afin de commémorer ce miracle.
La rédaction du livre d’Esther est traditionnellement attribuée à Mardochée lui-même. Celui-ci étant bien placé pour connaître, dans leurs moindres détails, tous les faits rapportés dans le récit : les préoccupations personnelles d’Esther et de lui-même, les agissements des membres de la famille de Haman et, en particulier, ce qui se passait à Suse. De plus, quand il fut admis auprès du roi, Mardochée eut certainement accès aux documents officiels mentionnés dans le récit. Néanmoins certains exégètes attribuent la rédaction du livre à Esdras, ou à d’autres personnages encore.
Quoi qu’il en soit, l’œuvre reste anonyme et la date de sa rédaction est discutée. Ce livre est pour J-D Macchi, « une littérature de diaspora dans le judaïsme de l’époque du deuxième Temple. ». Il est l’œuvre d’un perse ayant vécu avant 78-77, date attestée de la traduction du livre en grec par Lysimaque.
L’action se déroule après la destruction du premier Temple de Jérusalem et l’exil à Babylone. Un demi-siècle environ après la victoire de Nabuchodonosor, son empire tombe aux mains du roi Cyrus II de Perse. Bien qu’il ait autorisé le retour des Juifs en Judée, beaucoup continuent à vivre en diaspora dans l’empire perse. Le récit d’Esther se place vers cette époque, à la cour du roi de Perse.
Premier chapitre d’un rouleau manuscrit du Livre d’Esther
Dans sa troisième année de règne, le roi Xerxès Ier organise en sa capitale, Suse, un banquet pour les grands personnages de l’empire et décide, pendant cent quatre-vingt jours, de montrer la richesse de son glorieux royaume, ainsi que la grandeur et la splendeur de sa puissance. De plus, il organise aussi un immense festin de sept jours pour le peuple. Le septième jour, il ordonne à ses sept eunuques d’aller quérir la reine Vashti afin que tous voient sa beauté. Devant le refus de celle-ci de se présenter devant le roi et ses convives, il demande l’avis de ses sept sages, grands officiers perses et mèdes. Ceux-ci jugent le comportement de la reine comme une atteinte faite à tous les maris du royaume. Ils conseillent au roi de faire publier dans tout le royaume une ordonnance signifiant le retrait de son titre royal. Vashti déchue, les serviteurs du palais proposent au roi de faire venir au palais les plus belles jeunes vierges du royaume afin que le roi choisisse la future reine.
Mardochée, un judéen de la tribu de Benjamin vivant en tant que fonctionnaire royal à Suse, voit Esther, une cousine orpheline qu’il avait adoptée se faire emmener au palais. Subjugué par son charme, l’eunuque gardien des femmes l’installe dans le meilleur endroit de la maison des femmes avec sept servantes à sa disposition. Pendant toute l’année où Esther devait prendre soin d’elle-même, Mardochée venait quotidiennement à la maison des femmes prendre des nouvelles de sa cousine. Celle-ci, ayant maintenu l’anonymat que lui avait recommandé son cousin, fut, la septième année de règne, présentée au roi qui, séduit, la choisit comme reine.
Alors que Mardochée était assis à la porte des appartements royaux, il surprit deux eunuques qui veillaient à la sécurité du roi, s’irriter et projeter d’attenter à la vie d’Assuérus. Il les fit dénoncer en son nom par Esther. Les deux gardiens du seuil furent pendus et l’affaire consignée dans les annales royales.
Dans la douzième année de règne, Haman, fils de Hamdata et descendant d’Agag, le roi amalécite vaincu par Saül (ancêtre de Mardochée), est promu premier dignitaire du palais et le roi impose que tous s’inclinent devant lui. Mardochée, qui travaille toujours au palais refuse la prosternation et rétorque aux gardes qui lui en font reproche qu’il est juif. Ceux-ci le dénoncent alors à Haman qui, dès lors, « vit que Mardochée ne s’agenouillait pas et ne se prosternait pas devant lui ». Pris de colère, Haman projette d’exterminer tous les Juifs de l’empire. Vu l’étendue du royaume d’Assuérus (de l’Inde jusqu’à l’Éthiopie, en passant par la Judée), ce projet vise à l’anéantissement quasi total du peuple juif. Le tirage du sort (Pour) qui s’effectue au début de l’année calendaire désigne le jour favorable (le 13 du dernier mois). Haman obtient l’approbation du roi en présentant le peuple qu’il souhaite exterminer comme un peuple dissident pour lequel « les lois royales […] sont lettre morte » et en s’engageant à verser 10 000 talents au trésor royal. Le roi lui accorde en la matière les pleins pouvoirs et lui laisse son anneau (le sceau apposé sur les décrets). Le décret d’anéantissement des Juifs est diffusé dans toutes les provinces de l’empire afin que les exterminateurs « se tiennent prêts pour ce jour-là ».
Mardochée apprend la promulgation du décret. Il parcourt alors les rues, les vêtements déchirés, revêtu d’un sac et de cendres, tant et si bien qu’il finit par attirer sur lui l’attention de la reine Esther. Comme elle prétexte ne pas vouloir briser l’isolement du roi (sous peine de mort), Mardochée lui fait remarquer que le décret concerne tous les Juifs et qu’elle ne doit pas se croire à l’abri loin de son peuple, dans les palais du Roi. Esther, convaincue, lui dit en substance : « Va rassembler tous les Juifs de Suse. Jeûnez à mon intention. Ne mangez ni ne buvez de trois jours et de trois nuits. De mon côté, avec mes servantes, j’observerai le même jeûne. Ainsi préparée, j’entrerai chez le roi malgré la loi et, s’il faut périr, je périrai.»
Le troisième jour, Esther, qui reçoit la faveur du roi, l’invite à dîner avec Haman. Lors du festin, Esther dont la demande a été par avance acceptée par le roi (« jusqu’à la moitié de mon royaume ») renouvelle l’invitation pour le lendemain. Mais Haman, en rentrant joyeusement chez lui après les honneurs qui lui ont été rendus par la reine, s’emplit de colère en voyant Mardochée refuser de se prosterner devant lui. Il recueille avec joie l’idée de sa femme, Zeresh, de pendre Mardochée haut et court dans sa cour sur une potence de 50 coudées.
Cette nuit-là, le roi, incapable de trouver le sommeil, demande qu’on lui fasse la lecture des annales. L’épisode du complot des gardes lui est remémoré, ainsi que le fait que son sauveur, un nommé Mardochée, n’a pas été récompensé. Lorsque Haman se présente au palais le lendemain, avec l’intention de lui demander la tête de Mardochée, Assuerus lui demande comment récompenser un fidèle parmi les sujets fidèles, qui a toute l’amitié du roi. Haman, se croyant désigné, répond qu’il serait convenable d’organiser une procession dans la ville, vêtu des habits royaux, monté sur la monture royale et en proclamant que c’est là un homme que le roi veut honorer. C’est ainsi qu’il se retrouve à tirer Mardochée à travers la ville.
Au cours du second festin, Esther demande la parole au roi. Celui-ci s’engage par avance à exaucer son désir. Elle dénonce un complot visant à anéantir de nombreux sujets du roi, dont la reine elle-même, et demande « pour elle et son peuple la vie sauve ». Surpris, le roi lui demande qui donc « a manifesté cette intention criminelle ». Esther désigne Haman et dévoile alors son appartenance ethnique. Abasourdi, le roi sort faire un tour dans ses jardins et revient au moment où Haman, tentant d’obtenir la grâce royale, s’était jeté sur le divan où Esther était allongée. Indigné, Assuerus, fait pendre son premier vizir sur la potence initialement prévue pour Mardochée. La maison de Haman revient à Esther et Mardochée est admis auprès du roi. Celui-ci remet à Mardochée son anneau royal en même temps que les pleins pouvoirs en cette affaire : « Vous-mêmes, écrivez au sujet des Juifs, au nom du roi, comme vous le jugerez bon ». Un nouveau décret autorise « les Juifs à massacrer leurs ennemis » le jour prévu par Haman. Il est supposé compenser le fait qu’une « lettre écrite au nom du roi et scellée avec l’anneau royal ne [puisse] pas être révoquée ». Après que la plus large publicité eut été faite à ce décret, le jour venu, les Juifs « traitèrent comme bon leur semble ceux qui les haïssaient », « mettant la main sur ceux qui leur voulaient du mal », massacrant 75 000 sujets du roi (15 000 selon la version des Septante). « Les gouverneurs et les fonctionnaires du roi soutenaient les Juifs, car la crainte de Mardochée les avaient saisis », celui-ci « devenant de plus en plus puissant ». Pour la même raison, nombre de « gens du pays se firent Juifs ». Ayant ainsi obtenu « la tranquillité de la part de leurs ennemis », les Juifs, le lendemain, « se reposèrent et en firent un jour de festin et de réjouissance » dont la commémoration chaque année « sera sans fin dans la race des Juifs ». La fin du récit précise que l’histoire de Mardochée fut notée « dans le livre des Chroniques des rois des Mèdes et des Perses ».
Plusieurs versions du texte sont parvenues jusqu’à nous. Le texte de la version grecque de la Septante, produit au IIe siècle avant notre ère, comprend six passages qui ne figurent pas dans le texte hébraïque massorétique. Ces passages, numérotées A à F, sont qualifiés d’« additions à Esther ». Ils consistent en : le « songe de Mardochée » et le « complot contre le roi » (addition A), l’« édit d’Artaxersès » (3.13, addition B), « Mardochée à Esther » (4.8), la « prière de Mardochée » et la « prière d’Esther » (4.17, addition C), la « rencontre d’Esther et du roi » (5.5, addition D), le « nouvel édit d’Artaxersès » (8.12, addition E), l’« explication du songe de Mardochée » (10.3) et la « conclusion de la version grecque » (addition F). Les Juifs et les Protestants ne les considèrent pas comme canoniques. Ils sont absents des éditions juives de la Bible et figurent parfois à part dans les Bibles protestantes. Jérôme de Stridon a inclus ces additions dans sa version latine de la Bible, la Vulgate. Depuis le concile de Trente, les Catholiques considèrent que ces passages font autorité et sont dits « deutérocanoniques ».
Plutôt qu’une traduction du texte hébraïque, il s’agit d’une nouvelle narration des événements ; elle comporte d’autres traditions (Assuérus est identifié à Artaxerxès, Haman n’est plus agaggite mais macédonien, etc.), un message « religieux » plus prononcé (la version grecque inclut une prière à Dieu, la description d’un rêve prophétique de Mardochée, etc.) et donne le détail des pièces de correspondance à peine mentionnées dans la Meguila. C’est sur la version grecque, plutôt que sur l’hébraïque, que se basent les versions coptes et éthiopiennes.
Flavius Josèphe, historien juif romanisé du premier siècle de notre ère, préfère utiliser la version hébraïque dans sa narration des faits destinée au public romain, bien qu’il ne semble pas ignorer la version grecque, car il identifie lui aussi Assuérus à Artaxerxès.
La version latine de Jérôme est une interpolation à partir de ces deux sources.