Le don à la postérité de quatre hommes qui ont bravé la colère de Staline pour photographier l’Holodomor
Whiting Williams (1878–1975)
En tant que journaliste spécialiste des relations de travail, il était sans doute fatal que son travail conduise Whiting Williams en Union soviétique.
Après s’être fait un nom en se faisant passer pour un ouvrier ordinaire pour réaliser un reportage clandestin dans les mines et aciéries des USA, il n’a pas fallu longtemps pour qu’il se rende également dans le Donbass de l’Ukraine soviétique pour y observer les conditions de travail au début du plan quinquennal de l’URSS en 1928.
Même s’il était revenu désabusé après avoir constaté les lugubres conditions de vie, des travailleurs soviétiques, sa désillusion a viré à la franche horreur lorsqu’en 1933, il est revenu par curiosité pour savoir comment se portaient ceux qu’il avait rencontrés cinq ans auparavant.
«Partout les hommes et les femmes ne pensaient qu’à une seule chose, et cette chose, c’était du pain», écrivait-il ainsi des gens affamés qu’il croisait dans les rues ou voyait dans les fossés.
Photo d’une femme émaciée à l’extérieur d’une usine en Ukraine prise par Whiting William en août 1933. Le fait qu’elle soit vêtue d’un gros manteau et de bottes au plus fort de l’été semble indiquer qu’elle a dû quitter son foyer et contrainte d’emporter toutes ses affaires sur elle. La légende au dos de la photo originale, rédigée par Whiting, décrit la femme comme «dans un état de faiblesse extrême dont la vie est littéralement suspendue à la récolte qui vient».
Malgré la présence d’un chaperon officieux «qui le rendait chèvre», Whiting parvenait à prendre à la dérobée ces clichés oppressants.
Il était particulièrement frappé par les hordes affamées d’enfants sans foyer qu’il voyait partout dans les villes ukrainiennes «et qui vivaient et mouraient comme des bêtes sauvages».
Photo prise par Whiting Williams en août 1933 à Kharkov, apparue dans un article qu’il écrivit un an plus tard pour un magazine anglais, elle était depuis tombée dans l’oubli. Dans sa parution originale, la légende portait « manufacturières passant devant une petite victime de la famine: enfant morte gisant sur le trottoir de la ville.
Des milliers de ces enfants étaient régulièrement raflés dans les rues par les autorités, Whiting parvenant à apporter la preuve visuelle d’un de ces raids à Kharkov.
Une autre photo prise par Whiting à Kharkov en août 1933, également parue dans la presse anglaise. La photo originale porte une légende manuscrite au verso: «la charrette du ramasseur d’enfants, – récupération de quelques-uns des 18 000 enfants abandonnés par leurs parents l’hiver dernier».
Il note dans son carnet de bord que les habitants lui disaient que parfois, ces enfants n’étaient même pas emmenés dans des orphelinats, bourrés à craquer et ravagés par les maladies, mais qu’ils étaient simplement relâchés dans les champs.
«Et une fois, au moins, l’une de ces charrettes pleines d’enfants avait été placée sur une voie de garage et oubliée pendant trois jours, lorsque quelqu’un les a finalement retrouvé, il n’en restait plus un seul de vivant».
Son séjour de deux semaines en Ukraine terminé, Whiting était obnubilé par ce qu’il avait vu et avait hâte de livrer au public ce qui s’y passait.
Une photographie autorisée prise par Williams lors d’une tournée officielle dans les fermes collectives en août 1933 . Selon Whiting, la plupart de ces travailleurs ont été enrôlés dans les villes soviétiques pour assurer la récolte en Ukraine, les Ukrainiens eux-mêmes étant ou morts ou trop mal nourris pour travailler. Whiting a été confidentiellement informé de ce que les rations alimentaires que recevaient ces travailleurs étaient si faibles, que beaucoup se sont retrouvés gravement malade et ne s’en sont jamais remis.
Ayant rédigé son article avec force photos à l’appui, il était soufflé de voir que les mêmes magazines américains qui avaient publié ses articles sur les mines refusaient cette fois de le prendre. À un moment où Washington envisageait d’établir des relations diplomatiques avec Moscou, lui disait un rédacteur en chef, on ne veut pas «en faire de trop» avec des histoires «désobligeantes» pour l’Union soviétique.
Grâce à ses bonnes relations avec Abbe, qui lui-même avait eu toutes les peines du monde à publier ses propres photos, Whiting parvint en fin de compte à convaincre un hebdomadaire britannique de publier son article. Cet article est à présent considéré par les chercheurs comme le premier témoignage photographique à avoir été publié sur la famine en Ukraine par la presse internationale.
Mais l’article n’a pas eu le retentissement qu’il espérait.
Le premier des deux articles publiés par Whiting Williams dans le magazine britannique Answers en 1934.
Selon Babij, le récit explosif de Whiting sur la situation en Ukraine était «n’était pas pris au sérieux, il était discrédité et rejeté comme sensationnaliste, étant donné qu’aucun autre rapport n’avait filtré aux USA pour venir le corroborer. À l’époque, disait-elle, Walter Duranty, célèbre correspondant à Moscou du prestigieux New York Times, se faisait l’écho de la propagande soviétique, parlant «de la meilleure récolte en cinquante ans» alors que les gens tombaient comme des mouches dans la rue.
Depuis, l’apport de Whiting pour comprendre ce qui s’est passé en Ukraine a souvent été délaissé et les chercheurs du projet espèrent redresser cette injustice en dressant une base d’images et en publiant des articles sur sa vie et son travail.
Mykola Bokan (1881–1942)
Mykola Bokan (Archive du Service de Sécurité d’Ukraine, fonds 6, affaire № 75489-fp, volume 2)
Contrairement à Wienerberger, Abbe, et Whiting considérés par Daria Glazkova comme des observateurs tiers en ce sens qu’ils étaient «des étrangers qui observaient l’Holodomor sans souffrir ce que vivaient les habitants», Mykola Bikan était quelqu’un dont la famille a été durement touchée par la famine.
Comme beaucoup d’Ukrainien, Bokan et ses sept enfants ont commencé à ressentir la faim quand la situation est devenue particulièrement difficile en 1932.
Comme plus personne ne pouvait s’offrir ses services de photographe professionnel, il n’avait plus de gagne-pain. Mais il a fait bon usage de son outil de travail pour conserver la trace de ce que sa famille était en train de subir.
L’une de ses photos les plus poignantes les montre assis pour partager un maigre repas, la légende portant «300 jours (trois cents!) sans un morceau de pain jusqu’à ce misérable repas».
Mykola Bokan (tout à droit) et sa famille posent prenant un repas liquide marquant le «trois centième jour» sans pain. (Archive du Service de Sécurité d’Ukraine, fonds 6, affaire № 75489-fp, volume 2)
Bokan a par la suite retracé son expérience dans un carnet personnel qu’il a illustré avec ses photos pour montrer l’effet désastreux de la famine sur une famille ukrainienne ordinaire comme la sienne.
Une page de l’album de Bakan retraçant son expérience de la famine (Archive du Service de Sécurité d’Ukraine, fonds 6, affaire № 75489-fp, volume 2)
Comme la faim commençait à tenailler les entrailles, Bokan contraignait son fils aîné, Volodymyr, à quitter le foyer à essayer de s’en sortir seul.
Le départ forcé a été durement ressenti par le jeune homme, des fenêtres ont volé en éclats, des menaces ont fusé avant qu’il ne se résolve à partir.
Bokan dira ensuite de la destinée de son fils que «c’était une vie qui basculait dans la mendicité, l’extorsion et le vandalisme».
Volodymyr Bokan (troisième en partant de la gauche) prend congé de sa famille en juin 1932. (Archive du Service de Sécurité d’Ukraine, fonds 6, affaire № 75489-fp, volume 2)
Puis, à l’été 1933, alors que la famille n’avait pas vu de pain sur la table depuis 10 mois, un autre fils, Konstantin, est mort d’épuisement en travaillant dans une ferme collective. Il avait à peine 22 ans.
Comme si ce n’était qu’un nouvel événement de sa chronique, Bokan s’est contenté d’enregistrer cette perte dans son journal, photographiant pour mémoire l’endroit où son fils était mort.
L’un des fils Mykola Bokan se tient assis à l’endroit om son frère, Konstantin, est décédé quelques heures plus tôt. D’après les mémoires de Bokan, son fils s’était effondré et est mort en présence de gens qui passaient sur une route voisine. (Archive du Service de Sécurité d’Ukraine, fonds 6, affaire № 75489-fp, volume 2)
«Pour tout salaire pour ses deux mois de travail à la ferme collective, mon fils a eu droit une sépulture dans une fosse et une charrette pour le cimetière, c’est tout ce qu’il a gagné» écrivait-il dans son carnet.
Sobrement intitulée «Dans le cercueil» cette photo montre Konstantin Bokan peu après qu’il soit mort de malnutrition, à 22 ans. (Archive du Service de Sécurité d’Ukraine, fonds 6, affaire № 75489-fp, volume 2)
Cette vision de l’intérieur unique en son genre de la tragédie de l’Holodomor de Bokan n’a fait surface qu’en 2007, lorsque les chercheurs sont tombés dessus en fouillant les archives locales du SBU à Tchernihiv.
Mykola Bokan devant la tombe où repose son fils, Konstantin. Une petite note manuscrite en bas de la photo indique «tombe de Kostia». (Archive du Service de Sécurité d’Ukraine, fonds 6, affaire № 75489-fp, volume 2)
Les notes de Bokan faisaient partie d’un dossier criminel sur le photographe. En tant que membre d’une secte religieuse, lui et son fils, Boris, avaient été arrêtés en 1938 et condamné à huit ans en camp de travail pour «activité contrerévolutionnaire». Bolkan est mort avant la fin de sa condamnation, en 1942, trois ans après Boris.
Un marécage de désinformation
Comme les photographies de Bolkan, beaucoup d’autres clichés récupérés par les chercheurs de Toronto sont longtemps restés dans les dossiers et on espère que le répertoire va devenir une source de référence pour ceux qui veulent se renseigner sur l’Holodomor.
Comme il s’agissait d’un sujet sensible qui a longtemps été brouillé par la propagande et la désinformation communiste, les chercheurs ont aussi fait un travail de tri pour écarter des photos qui n’avaient absolument rien à voir avec la famine en Ukraine de 1932-33.
Au fil des années, plusieurs photos concernant d’autres famines ont servi à tort pour illustrer des articles sur l »Holodomor. Par exemple cette image d’enfants squelettiques du sud de l’Ukraine en 1921 – 1922.
Ces images de la famine qui sévissait en Russie et en Ukraine entre 1921 et 1923 ont souvent servi à tort d’illustration à des travaux sur l’Holodomor au détriment de la recherche sur le sujet.
«Encore aujourd’hui, les militants de la prise de conscience de l’Holodomor et le grand public ont tendance à recycler le même mélange de photos en raison de leur caractère hautement émotif, pourtant, même si elles sont authentiques, ces photos ne concernent pas l’Holodomor» explique Babij. «Or on sait que quelques publications anglophones de négationnistes de l’Holodomor qui ont eu un certain retentissement dans les années 80 ont justement tiré argument de ces photos prises en 1920 et de quelques autres photos d’origine douteuse pour remettre en cause l’Holodomor.
Pour mettre un terme à ce brouillard de désinformation qui continue de baigner le sujet, les chercheurs ont également signalé dans le répertoire les images passant à tort pour être celle de la famine de 1932 en précisant les détails de leur origine. Toutes les images collectées avec les informations générales détaillées et les précisions sur les droits d’auteur sont disponibles ici.
Traduction : Francis Goumain
Source : Radio Free Europe – Radio Liberty | ‘A Gift To Posterity’: Four Men Who Risked The Wrath Of Stalin To Photograph The Holodomor (rferl.org)
Le livre « le prince jaune » est un excellent témoignage sur cette période « diabolique ».
Le malheureux peuple Ukrainien, manipulé par une intense propagande, qui justifie la haine des Russes en évoquant la terrible famine dite « holodomore » qui décima 20% de leur population, ne devrait-il pas garder en mémoire…
– que d’une part, Lazare Kaganovitch, qui organisa cette élimination de masse par la faim, n’était pas plus Russe que la plupart de ces complices, mais, tout comme Trotsky, massacreur des cadres de l’armée Russe pour en faire l’Armée Rouge, un juif Ukrainien…
– et que d’autre part, si cette même famine organisée par Kaganovitch coûta la vie à près de cinq millions d’Ukrainien, elle eut les mêmes effets en Russie, notamment au Kazakhstan, au Caucase, dans l’Oural et sur les rives de la Volga et du Don.
La thèse défendue par Soljenitsyne, selon qui rien ne justifiait que les anciennes victimes du communisme se divisent, puisqu’ayant été, les unes autant que les autres, victimes d’un même système mortifère, est donc confirmée par les historiens… Mais non – hélas ! – par les propagandistes occidentaux cherchant à introduire le poison de la discorde entre Europe Centrale et Europe Orientale.
D’où une guerre mémorielle intense menée notamment à l’ONU, pour faire passer pour un génocide, visant les seuls Ukrainiens, les outrances répressives de l’Ukrainien Kaganovitch frappant pourtant toute la Russie, et ne visant que les « Koulaks », ces petits propriétaires paysans réfractaires au bolchevisme.
Un nécessaire combat mémoriel, ayant pour objet de déculpabiliser la Russie, s’inscrirait dans le droit fil de ce qu’avait souhaité Soljenitsyne, en s’attaquant aux germes de la discorde entre anciens pays de l’ex-bloc soviétique.