Contrairement à ce que nous enseigne Hollywood, les Romains n’ont pas été les seuls à martyriser les Chrétiens dans l’Antiquité, au Moyen Âge, le trafic de jeunes chrétiens, enlevés, castrés et vendus aux musulmans n’était pas motivé uniquement par l’argent, l’ennemi à travers les âges se montre particulièrement dans la fête du Pourim, sa férocité archaïque dans celle de la Pâque. Et c’est un chercheur Israélien, Ariel Toaff qui nous raconte tout ça dans son livre, Pâque de Sang, dont on trouvera ci-dessous traduit le chapitre 8.
Un livre que Le Monde du 12 avril 2007 présentait comme « la curieuse « provocation » d’Ariel Toaff– fils d’Elio Toaff, célèbre rabbin de Rome et ami de Jean Paul II » qui « avait laissé entendre, dans quelques pages très controversées de cet ouvrage, que de petits groupes de juifs ashkénazes se seraient autrefois livrés à des meurtres rituels. Cela se serait passé entre le XIIe et le XVe siècle, en Italie du Nord, où une petite minorité juive, pour se venger des violences antisémites, aurait préparé du pain azyme avec du sang de chrétiens ».
Les accusations de meurtre rituel à l’encontre les Juifs sont millénaires, parfois même accompagnées de soupçons de cannibalisme, toutefois, il serait erroné de croire que ces rumeurs se soient autoalimentées à travers les âges, il est en effet assez peu probable que les témoignages qui nous sont parvenus de l’Antiquité aient été connus et diffusés au Moyen Âge pour donner corps à de nouvelles accusations de crucifixion et autres rituels macabres.1
Dès le deuxième siècle avant Jésus-Christ, un historien grec quasiment tombé dans l’oubli, Damocrite, qui vivait probablement à Alexandrie, recueillait un témoignage si violent et édifiant, qu’on le trouvait dans le dictionnaire grec de Suida à l’entrée le concernant. D’après Damocrite, les Juifs avaient coutume de rendre un culte à une tête d’âne d’or; tous les sept ans, ils enlevaient un étranger pour le sacrifier, lacérant sa dépouille.2
Pire, le sacrifice était censé se dérouler dans le sanctuaire même du judaïsme, au Temple de Jérusalem.
Le témoignage cité par Damocrite est évidemment destiné à mettre en exergue la monstrueuse barbarie des Juifs qui, «vomissant l’humanité», pratiquaient les cultes les plus démoniaques. Il convient néanmoins de noter qu’il n’est fait ici aucune mention d’un quelconque besoin de recueillir le sang des victimes ni d’autres formes de rite cannibale.
On trouve un récit pour partie similaire dans le Contra Apione, de Flavius Josèphe [Yossef ben Matityahou HaCohen], un texte rédigé dans le cadre d’une polémique qui l’opposait au virulent rhéteur antisémite, Apione, qui vécut à Alexandrie au 1er siècle de l’ère chrétienne. Selon Apione, Antiocchus Épiphane, entrant dans le Temple de Jérusalem, aurait été surpris d’y trouver un Grec, allongé sur un lit, entouré des mets les plus raffinés mis à sa disposition. Seulement, aux dires du prisonnier, la médaille avait un terrible revers. Les Juifs l’auraient enlevé et emmené au Temple, caché à la vue de tous, et gavé de toute sorte de nourriture. Au début, la curieuse situation dans laquelle il se retrouvait ne lui paraissait pas particulièrement désagréable, jusqu’à ce que les gardiens du sanctuaire lui révèlent le sort qui l’attendait: il était destiné à être la victime sacrificielle d’un cérémonial juif.
«chaque année à une date préétablie, les Juifs accomplissent le même rite. Ils enlèvent un Grec, commerçant de passage, et le nourrissent toute une année. Puis, ils l’emmènent dans une forêt et le sacrifient selon leur religion. Ils se délectent alors de ses viscères, jurant leur haine des Grecs, avant d’abandonner les restes de la carcasse dans un fossé».3
Flavius Josèphe note que l’histoire rapportée par Apione n’est pas de lui, qu’on la trouve chez d’autres aèdes, ce qui aurait tendance à indiquer qu’elle était beaucoup plus répandue que ce qu’on pourrait penser sur la foi des deux seuls écrits qui nous sont parvenus, à savoir, ceux de Damocrite et d’Apion.4
Le deuxième récit comporte par rapport au premier un certain nombre de variantes intéressantes. La cérémonie y devient annuelle et se tient à date fixe sans toutefois qu’on sache à quelle fête juive elle se rattacherait. Par ailleurs, le rite cannibale y est désormais crûment représenté, même s’il n’est toujours pas question de récupérer du sang humain, un élément qui deviendra prépondérant à partir du Moyen Âge.
En parallèle de ces récits de sacrifices humains, Dion Cassius dans son histoire de la rébellion de Cyrène (115 de l’ère chrétienne), n’a pas manqué d’évoquer avec dégoût le fait que les Juifs se jetaient voracement sur les corps de leurs ennemis, Grecs ou Romains, tombés dans la bataille, que non content de s’en sustenter, ils se maculaient le visage du sang de leurs victimes, se parant de leurs tripes en guise de ceintures.5
Plus troublant encore, parce qu’extrait du Talmud lui-même, ce passage, le Ketubot 102b, qui pourrait bien s’interpréter comme une confirmation indirecte du phénomène du meurtre rituel, à une époque, il est vrai, archaïque, le passage ne précisant d’ailleurs pas à quel point la pratique était répandue ni dans quelle mesure elle était approuvée.
Le passage s’apparente à une baraïta ou mishnah «externe», c’est-à-dire non incorporée dans le texte codifié et canonique de la mishnah (remontant approximativement au IIIe siècle de notre ère) – qui semble être l’une des plus anciennes – et peut donc remonter à la à l’époque du second Temple en Palestine.
«Un homme est tué, laissant un fils en bas âge aux soins de sa mère. Lorsque les héritiers du père s’approchent et disent: «Laissez-le grandir avec nous», et que la mère dit: «Laissez-le grandir avec moi», il (le garçon) doit être laissé à la mère et ne doit pas être confié aux soins de toute personne ayant le droit d’hériter de lui. Un cas de ce genre s’est produit dans le passé et (les héritiers) l’ont tué la veille de la Pâque (en hébreu: weshachatuhu ‘erev ha-Pessa’h)».6
Or, on sait que le verbe hébreu shachet a le sens «d’assassiner», de «tuer», mais aussi celui «d’immoler», comme par exemple dans Exode 12:21 «Tu sacrifieras l’agneau pascal», we-shachatu ha-pesach). S’il ne s’agissait en l’espèce que d’un simple meurtre commis en vue d’accroître la part d’héritage, l’affirmation selon laquelle le meurtre a été commis «à la veille de la Pâque» apparaîtrait tout à fait superflue. En effet, à l’appui de la loi prévoyant que l’enfant devait être confié à la mère et non à des personnes habilitées à hériter de ses biens, il aurait suffi de constater que, dans le passé, un enfant avait été tué par ses cohéritiers. Les précisions sur le lieu et la date n’avaient en elles-mêmes aucune importance, sauf pour rappeler un cas bien connu durant lequel des héritiers auraient profité d’un éventuel rite sacrificiel humain pascal pour récupérer une part d’héritage.
Parvenu à ce stade, il pourrait être utile de se demander pourquoi, alors, les auteurs chrétiens primitifs semblent s’abstenir de faire usage de ce passage dans leurs polémiques antijudaïques puisqu’il pouvait si facilement venir à l’appui de leurs accusations de sacrifices humains en établissant un lien entre le meurtre abominable d’un bébé et la Pâque juive. Mais c’était peut-être tout simplement dû à leur ignorance très générale de la littérature rabbinique et de ses exégèses.7
Quoi qu’il en soit, force est de constater que la mention «Ils l’ont tué (ou immolé) la veille de la Pâque» (we-shachatuhu ‘erev haPesach), apparaît dans toutes les versions manuscrites primitives du Ketubot en question, ainsi que dans la première édition du Talmud, imprimée à Venise en 1521 par Daniel Bomberg.
Depuis, sans doute dans le but de ne pas prêter le flanc aux accusations de meurtre rituel de la part de ceux qui auraient, entre-temps, découvert le passage et sa valeur potentiellement embarrassante, les éditeurs du Talmud ont opté pour une rédaction moins incriminante: «ils l’ont tué le soir du Nouvel An» (‘erev Rosh HaShanah), ou «ils l’ont tué le premier soir» (‘erev ha-rishon).8
Cette dernière version suggérant que les héritiers ont liquidé l’enfant le jour même où il leur a été confié, indépendamment donc de toute fête religieuse.
Dans une glose consacrée au Ketubot 102b, les éditeurs de la célèbre édition de Vilnius du Talmud (1835) justifiaient ainsi leur décision d’adopter la version «ils l’ont tué le premier soir» en lieu et place de la précédente – qu’ils se gardaient bien de rappeler explicitement: «Ceux qui nous ont précédés dans le Talmud, sont tombés dans l’erreur en sortant une phrase de son contexte».9
Que l’Europe chrétienne du Moyen Age vivait dans l’épouvante des Juifs est un fait bien établi. La crainte très répandue de voir leurs enfants enlevés et soumis à des rituels judéomoniaques est peut-être même antérieure à celle du sacrifice rituel dont le stéréotype est apparu au XIIe siècle. Pour ma part, je considère qu’il faut sérieusement prendre en considération l’hypothèse selon laquelle cette peur ait été en grande partie liée à la traite des esclaves, notamment aux IXe et Xe siècles, au cours desquels le rôle des Juifs dans la traite semble avoir été à son apogée.10
À cette époque, les Juifs sillonnaient les villes de la vallée du Rhône, Verdun, Lyon, Arles et Narbonne, en plus d’Aquisgrana [Aix-la-Chapelle], capitale de l’empire au temps de Louis le Pieux [Louis Ier], et, en Allemagne, les centres de la vallée du Rhin, Worms, Magonza et Magdeburg; en Bavière, de Ratisbonne, et en Bohême, de Prague. Ils étaient présents sur les principaux marchés aux esclaves en proposant à la vente des femmes, des hommes, et des enfants qu’ils avaient arrachés à leurs foyers. De l’Europe christianisée, cette chair humaine était souvent exportée en Espagne alors terre d’islam. La castration, surtout celle des enfants, faisait monter les prix et était une pratique des plus lucratives.11
On trouve dans une lettre d’Agobard, archevêque de Lyon dans les années 816-840, le premier témoignage connu relatif à l’enlèvement d’enfants par des Juifs dans le cadre du trafic à destination de l’Espagne arabo-musulmane. Le prélat y décrit l’apparition à Lyon d’un esclave chrétien, évadé de Cordoue, qui avait été enlevé vingt-quatre ans auparavant par un Juif léonais, alors qu’il était enfant, pour être vendu aux musulmans d’Espagne. Son compagnon d’évasion était également un chrétien ayant subi un sort similaire après avoir été enlevé six ans auparavant par des marchands juifs à Arles. Les habitants de Lyon confirmaient leurs dires, ajoutant qu’un autre petit chrétien avait été enlevé par des Juifs la même année pour être vendu en esclavage. Agobard conclut son rapport en estimant qu’il n’était pas possible de considérer qu’on avait affaire à des cas isolés, qu’il s’agissait au contraire d’une pratique courante chez les Juifs qui, non contents de se procurer des esclaves parmi les chrétiens, les soumettaient à des traitements infâmes «qu’il serait en soi dégradant de décrire plus avant».12
À quelles abominations Agobard faisait-il allusion, on ne peut pas le savoir avec précision, mais il s’agissait sans doute plus de castration que de circoncision.13
Liutprando, évêque de Crémone, dans son Antapodosis qu’il aurait rédigé vers 958-962, fait état de Verdun comme étant le principal marché sur lequel les Juifs se livraient à la castration des jeunes esclaves destinés à être vendus aux musulmans d’Espagne.14
À la même époque, deux sources arabes, Ibn Haukal et Ibrahim al Qarawi, notaient également que la majorité de leurs eunuques étaient originaires de France et qu’ils étaient vendus à la péninsule ibérique par des commerçants Juifs. D’autres chroniqueurs arabes mentionnent Lucerna, une ville majoritairement juive, située à mi-chemin entre Cordoue et Malaga dans le sud de l’Espagne, comme un autre grand marché dans lequel la castration des enfants chrétiens réduits en esclavage était pratiquée à grande échelle par toujours les mêmes personnes.15
Des chroniques rabbiniques contemporaines apportent une confirmation supplémentaire du rôle joué par les Juifs dans le commerce des enfants et des adolescents ainsi que dans la pratique hautement lucrative de la castration. Ces textes révèlent que ceux qui se livraient à un tel commerce étaient pertinemment conscient des risques encourus puisqu’en général toute personne surprise et arrêtée en possession d’esclaves castrés dans les territoires chrétiens était décapitée sur ordre des autorités locales.16
Même le célèbre Natronaï ben Hilaï, Gaon du collège rabbinique de Sura au milieu du IXe siècle était au courant des problèmes liés au périlleux commerce des jeunes eunuques.
«Les Juifs sont entrés (dans un port ou une ville), amenant avec eux des esclaves et des enfants castrés [hébreu: serisim ketannim]. Lorsque les autorités locales les ont confisqués, les Juifs les ont amadoués avec de l’argent et la marchandise leur a été restituée, au moins en partie».17
Ainsi, si on veut évaluer l’étendue et l’importance de la présence juive dans la traite des esclaves et la pratique de la castration, il est un fait que la crainte que des petits chrétiens puissent être enlevés et vendus était assez répandue et profondément enracinée dans tous les pays d’Europe occidentale, en particulier, la France et l’Allemagne, où ces Juifs étaient installés et où la plupart des marchands d’esclaves opéraient. Des personnalités du clergé nourrissaient cette peur, lui conférant des connotations religieuses à caractère antisémite, oubliant de préciser que le trafic d’esclaves faisait encore partie des mœurs à l’époque et, à ce titre, était largement toléré dans l’économie. Mais d’autre part, l’enlèvement et la castration d’enfants, souvent inévitablement confondus avec la circoncision, non moins redoutée et abhorrée, ne pouvaient manquer de s’insinuer dans l’inconscient collectif de l’Europe chrétienne, notamment les territoires français et germaniques, générant une angoisse qui s’est probablement renforcée au fil du temps et dont on peut penser qu’elle s’est concrétisé, plus ou moins fortement selon les endroits, sous la figure du meurtre rituel.
Dans le calendrier hébreu, Pessa’h, la Pâque, intervient un mois après la fête de Pourim, qui commémore le sauvetage in extremis du peuple juif en Perse d’une menace d’extermination que faisait peser sur lui un complot du perfide Haman, ministre du roi Assuérus 1er (519-465). Le Livre d’Esther, qui retrace ce tournant de l’histoire mondiale et exalte le rôle providentiel de l’héroïne biblique ainsi que celui de Mardochée, l’oncle et mentor d’Esther, se conclut par la pendaison d’Haman et de ses dix fils, ainsi que par l’heureux massacre des ennemis d’Israël. Léon da Modena dans son Riti, offre une description détaillée du Pourim, mettant l’accent sur son atmosphère carnavalesque et débridée à la limite de faire craquer les convenances les plus élémentaires.
«Le 14 Adar, qui correspond au mois de mars, se tient la fête de Pourim en souvenir de tout ce que nous lisons dans le livre d’Esther qui a sauvé le peuple d’Israël de l’extermination par les machinations d’Haman, lui et ses fils ont été pendu […]. Après les oraisons habituelles qui accompagnent le souvenir de l’évasion survenue à l’heure de la mort, on lit toute l’Histoire du Livre d’Esther, écrite d’un seul tenant, comme le Pentateuque, sur un parchemin qu’on appelle le meghillah, c’est-à-dire le volume. Et certains, entendant le nom d’Haman mentionné, frappent sur les tables comme un signe pour le maudire […] Ils font beaucoup de réjouissances et de banquets […] on s’efforce de servir le repas le plus somptueux possible, de manger et boire plus que d’habitude, après quoi les amis sortent pour se rendre visite, avec des réceptions, des festivités et des réjouissances».18
Pour un certain nombre de raisons, dont bien sûr celle de sa fréquente proximité avec la Semaine Sainte, Pourim, également appelée la «fête des lots», en est venue avec le temps à acquérir des connotations de plus en plus ouvertement antichrétiennes, tant dans la forme que dans le fond. Haman, assimilé à cet autre ennemi juré biblique des Juifs, Amalek (Deut. 25: 17-19), dont la mémoire devait être effacée de la surface de la terre, a été transformé, au fil du temps, en Jésus, le Faux Messie, dont les partisans impies menaçaient maintenant le peuple élu d’extermination.19
De plus, Haman a été exécuté par pendaison, tout comme l’aurait été, d’après d’abondants commentaires exégétiques en ce sens, Jésus lui-même. Dans la traduction grecque de la Septante ainsi que dans Flavius Josèphe (Ant. Jud. XI, 267, 280), la potence d’Aman était interprétée comme une croix, et l’exécution du perfide ministre d’Assuérus y était, de fait, décrite comme une authentique crucifixion en bonne et due forme. L’équivalence entre Amalek, Haman et le Christ était évidente. Haman, qui, dans le texte biblique, est appelé Talui, «le pendu», était confondu avec Celui qui, dans tous les textes hébraïques antichrétiens, était le Talui par antonomasie [le remplacement d’un nom propre par une épithète], c’est-à-dire le Christ crucifié.20
Lors du retentissant procès, à Milan, au printemps 1488, des membres les plus éminents des communautés ashkénazes du nord de l’Italie, accusés de diffamer la religion chrétienne, en réponse aux inquisiteurs exigeant de connaître le nom utilisé par les Juifs pour désigner Jésus de Nazareth, Salomone da Como, l’un des accusés, répondit sans hésiter: «Entre nous, nous l’appelons «Ossoays» («cet homme», de l’hébreu oto’ ha-ish, selon la prononciation allemande), ou Talui («le pendu», «le crucifié»), tandis que, lorsque nous parlons aux chrétiens, nous nous référons toujours à lui comme «le Christ»».21
Il n’est donc pas surprenant que le moine Évagre, au IVe siècle, dans un texte qui relate la dispute entre le chrétien Théophile et le Juif Simone, rapporte que ce dernier assimilait «la passion tant maudite et méprisée du Christ» à la «crucifixion» d’Haman.22
Selon le grand anthropologue anglais James George Frazer, le Christ est mort en jouant le rôle d’Haman (le dieu mourant) dans un drame de Pourim où (Jésus) Barabbas, le double de Jésus de Nazareth, jouait le rôle de Mordechai (le dieu qui resurgit). Dans le modèle du dieu qui meurt et qui renaît – courant au Proche-Orient – Haman aurait joué le rôle de la mort et Mardochée celui de la vie, tandis que la célébration de Pourim constituerait le rituel hébraïque de la mort et de la résurrection. En se fondant sur ces considérations, on pourrait facilement émettre l’hypothèse que, par le passé, les Juifs, au point culminant de la fête, auraient pu avoir pour coutume de réellement mettre à mort un homme, que Jésus, dans ce contexte, aurait été crucifié en endossant le rôle tragique du ministre d’Assuérus, l’ennemi juré d’Israël. 23
Les témoignages ne manquent pas pour attester du fait que lors des célébrations du carnaval de Pourim, initialement destinées à conspuer l’effigie d’Haman, cette dernière prenait progressivement des allures de plus en plus marquées du Christ en croix. C’est ainsi que, d’abord l’empereur Honorius (384-423), puis, à sa suite, Théodose (401-450), se sont vus dans l’obligation d’interdire aux Juifs des provinces de l’Empire d’incendier les effigies tant il devenait évident qu’il s’agissait d’une profanation de l’image du Christ.
À l’origine de la décision de Théodose, il y avait peut-être ce rapport datant de 404 – 407 qu’on trouve cité par un chroniqueur tardif du 10e siècle, Agapius: certains Juifs d’Alexandrie, forcés au baptême, se seraient rebellés en paradant avec une image grottesque du Christ crucifié, déclarant avoir été bien amusé par la cérémonie du bâpteme, provoquant les chrétiens en leur demandant si «Ceci est notre Messie?». L’affaire avait causé une grande indignation et il n’est pas impossible que l’épisode se soit inscrit dans le cadre des célébrations du Pourim.24
Avant 1027, à Byzance [Constantinople, aujourd’hui Istanbul], les Juifs baptisés étaient tenus de maudire leurs ex-coreligionnaires «qui célébraient la fête de Mardochée, crucifiant Haman sur une paire de poutres en croix, puis y mettant le feu, accompagnant le rite profanatoire d’un torrent d’imprécations dirigées contre les fidèles du Christ». Encore au tout début du XIIIe siècle, Arnol, prieur du monastère de Lübeck, flétrit en termes bien sentis la conduite indigne des Juifs qui «en crucifiant chaque année la figure du Rédempteur, en font l’objet d’un ridicule sacrilège».25
Même les textes hébreux ne semblent pas avares d’informations à cet égard. Le dictionnaire talmudique Arukh, composé par le rabbin Natan b. Yehiel de Rome dans la seconde moitié du XIe siècle, fait état de rapports selon lesquels les Juifs de Babylone avaient l’habitude de célébrer la fête de Pourim d’une manière bien particulière:
«C’est une coutume bien ancrée chez les Juifs de Babylone – qu’on retrouve aussi ailleurs – qui veut que les garçons fabriquent des épouvantails à l’effigie d’Haman et les installent sur les toits de leurs maisons pendant quatre ou cinq jours (avant la fête). Aux jours de Pourim, ils préparent un phallus et le jettent parmi ces images, tandis qu’ils se tiennent debout en chantant».26
Les rites mentionnés ci-dessus comportaient un aspect symboliquement cannibale, en effet, ces effigies d’Haman-Christ étaient en pâte sucrée et destinées à être dévorées par les jeunes et les enfants pendant les jours de carnaval.27
Au Moyen Âge, la pâtisserie reine des somptueux banquets du Pourim était un biscuit spécial surmonté d’une caricature d’Haman elle aussi, cerise sur le gâteau, comestible. Les «oreilles d’Haman» (onze’ Aman), dans des versions diverses selon les communautés, ont acquis une position de choix dans la fête de Pourim. En Italie, il s’agissait de bandes de pâte feuilletée en forme d’oreilles d’âne, frites dans de l’huile d’olive et saupoudré de sucre, qui ressemblaient assez aux cenci toscans préparées pendant le carnaval. Chez les Juifs d’Orient et d’Afrique du Nord, la pâte feuilletée était rissolée et recouverte de miel et de graines de sésame.28
Les Ashkénazes italiens n’appréciaient guère le goût un peu trop typé méditerranéen de ces biscuits qu’ils appelaient par mépris «galahim frit», «prêtres frits» (littéralement «personnes à la tonsure»), confirmant ainsi l’association dédaigneuse qu’ils faisaient entre Haman, l’ennemi juré d’Israël, et l’arrogance perçue du christianisme et de ses prêtres. Leur propre version des «oreilles», les «Hamantaschen» ou «poches d’Haman» et se voulait plus élaborée. Elle consistait en un grand gâteau de pâte aux œufs disposée en forme de triangle [rappel, l’étoile de David est formée de deux triangles en tête-bêche], garnie d’un mélange brunâtre sucré à base de graines de pavot.29
Inversement, échange d’amabilités, on ne devrait pas non plus s’étonner de ce que, même dans un passé relativement récent, il ne manquait pas de personnes en Allemagne pour partager la croyance, curieuse sinon très originale, selon laquelle les Ashkénazes fourraient leur Hamantaschen du sang coagulé des jeunes chrétiens martyrisés par eux.30
Encore aujourd’hui, il se trouve des antisémites pour ajouter foi à ces fables cannibales et à les répandre, parfois, notamment dans les pays arabes, du haut de leurs chaires universitaires, en en faisant l’objet de recherches dérisoires pseudo érudites.31
Mais si on remonte des siècles en arrière, force est de constater, à la suite de Frazer, que le rituel de Pourim ne se terminait pas toujours par la pendaison parodique d’une simple effigie d’Haman. Parfois, «l’effigie» en question était un véritable chrétien en chair et en os, crucifié pour de vrai lors des frénétiques réjouissances du carnaval juif. L’une des sources disponibles à cet égard, un historien de l’Église qui vivait au Ve siècle, Socrates Scolasticus [Socrate le Scolastique], rapporte, dans son Historia Ecclestiastica (VII, 16), un cas survenu en 415 à Inmestar, près d’Antioche, en Syrie.32
Les Hébreux du coin, s’abandonnant sans retenue à la débauche du carnaval du Pourim, après s’être dûment enivré, conformément aux prescriptions du rituel qui leur enjoignaient de boire jusqu’à ce qu’ils ne soient plus capables de distinguer Haman de Mordechai:
« … se mirent à tourner en dérision les chrétiens et le Christ lui-même. Les quolibets et les sarcasmes pleuvaient sur la croix et ses adorateurs, puis, ils se livrèrent à une petite farce qu’ils trouvaient très amusante: s’emparant d’un petit chrétien, ils l’ont attaché à une croix qu’ils ont redressée. Au début, rigolards, ils se sont contentés de lui adresser des plaisanteries plus ou moins drolatiques, puis, au bout d’un moment, perdant tout contrôle d’eux-mêmes ils l’ont tant et si bien malmené, qu’ils ont fini par le tuer».
Le rapport, qui ne fait aucune mention de miracles qui seraient survenus à l’emplacement des reliques de l’enfant martyr, semble posséder toutes les marques de la vraisemblance. De plus, comme nous l’avons vu plus haut, certains connaisseurs sont d’avis que les débordements des célébrations de Pourim, accompagnées d’insultes et de violences antichrétiennes, constituent le noyau à partir duquel s’est développée au Moyen Âge la croyance en l’homicide rituel de petits chrétiens, rituel centré autour de la fête de Pessa’h, considérée comme l’aboutissement logique de Pourim.33
Le cas d’Inmestar n’est pas isolé. Une source – juive cette fois – les mémoires du rabbin Efraim de Bonn, nous emmène en France, à Brie-Comte Robert, en 1191 ou 1192.34
Un serviteur de la duchesse de Champagne était reconnu coupable du meurtre d’un Juif et incarcéré. Les Juifs du village décidèrent de se faire livrer le prisonnier contre de l’argent et attendirent la fête de Pourim pour le pendre.35
«Un perfide chrétien a tué un Juif dans la ville de Brie, en France. Alors les parents du Juif se rendirent chez le seigneur de la région (la duchesse de Champagne), et la supplièrent de leur livrer l’assassin, comme c’était un serviteur du roi de France, ils ont dû la soudoyer. 36
Et ils le crucifièrent la veille de Pourim».37
La vengeance réclamée à haute voix par les chrétiens de Brie, emmenés par Philippe II Auguste, roi de France (1165-1223), ne s’est pas fait attendre. Toute la population juive adulte de la ville, soit environ quatre-vingts personnes, a été jugée et condamnée au bûcher («personnes riches et influentes, dont certains rabbins célèbres et lettrés, qui ont refusé de se souiller [dans les eaux baptismales] et de trahir le Dieu Unique, ont été brûlées vives en proclamant l’unité du Créateur»). Les enfants circoncis, étaient emmenés en masse sur les fonts baptismaux pour être christianisés. Aucune fête de Pourim ne s’est jamais conclue de manière plus tragique pour les Juifs, remettant en cause le sens salvateur et porteur d’espoir du récit biblique d’Esther et de Mordechai
Les parodies blasphématoires de la Passion du Christ ont eu parfois les conséquences les plus tragiques, mais cela ne suffisait pas toujours à calmer les têtes brûlées et à calmer les ardeurs des plus fanatiques. Les chrétiens ne faisaient pas trop dans le détail non plus, eux qui n’avaient nul besoin d’excuses ou de prétextes pour perpétrer des massacres de Juifs à l’aveugle ou pour plonger de force leurs enfants dans les eaux bienfaisantes du baptême. La spirale de la violence, malgré la disproportion des forces en présence, ne pouvait s’éteindre. Le serpent se mordait la queue, laissant son empreinte de sang sur le sable. Chaque camp était, en définitive, sa propre victime, mais aucun des protagonistes ne s’en rendait compte.
Pour donner quelques exemples, le 7 février 1323, quelques jours avant la fête de Pourim, un Juif du duché de Spolète était condamné pour avoir frappé et insulté la croix.38
Le 28 février 1504, coïncidant précisément avec la fête de Pourim, un mendiant de Bevagna accusait les Juifs du lieu, déchaînés, de l’avoir cruellement crucifié.39
C’est encore en période de Pourim, en février 1444, que des Juifs de Vigone, en Piémont, étaient accusés d’avoir fait semblant d’égorger une image du Christ crucifié par jeu.40
À une autre reprise au mois de février, cette fois en 1471, un Juif de Gubbio intentait une action en justice pour «gratter» l’image de la Vierge Marie du mur extérieur de sa maison.41
Pourim est suivi de Pessa’h, mais l’histoire de cette période à haute tension est toujours un peu la même et il n’y a pas forcément besoin d’un meurtre rituel sur un chérubin pour déclencher le caillassage en masse des Juifs et de leurs maisons durant la «sainte grêle de pierres». Le 21 mars 1456, un Juif de Lodi pénétra sabre au clair, à la tombée de la nuit, dans la cathédrale de San Lorenzo, se dirigeant sans hésitation jusqu’à l’autel principal, il commença immédiatement à tailler en pièces le Christ en Croix, avec l’intention évidente d’en faire un puzzle. Son sort était scellé, le coupable était lynché sur place au milieu des vociférations vengeresses d’une foule en liesse. Le 21 mars 1456 correspondait au 15 du mois de Nissan de l’année 5216 du calendrier juif et au premier jour de Pessa’h. L’affaire a ainsi été décrite par le gouverneur de Lodi au duc de Milan:
«Dans notre bonne ville de Lodi, le 21 de ce mois [mars], à 17 heures selon les rapports, un Juif a pénétré la cathédrale l’épée à la main pour s’en prendre au crucifix, pour laquelle offense, toute la cité s’est soulevée et est accourue vers sa maison […] ils tuèrent le Juif susmentionné et le traînèrent par terre».42
Au début de l’ère moderne, la fête de Pourim a fini par perdre de la violence et de l’agressivité qui la caractérisait depuis le haut Moyen Âge, mais sans que s’estompe pour autant sa signification foncièrement antichrétienne héritée de la tradition. Ainsi, écrivait Giulio Morosini, un ancien disciple averti de Léon de Modène, connu sous le nom de Shemuel Nahmias à Venise du temps qu’il était encore juif:
«Lors de la lecture [de la méguila d’Esther], chaque fois qu’Haman est nommé, les garçons frappent de toutes leurs forces les bancs de la synagogue avec des marteaux ou des bâtons en signe d’excommunication, en criant d’une voix forte «Que son nom soit effacé et que le nom de l’impie pourrisse». Et en chœur ils crièrent: «Sois maudit, Haman, Sois béni, Mardochée, Sois béni Esther, Sois maudit Assuérus. Et ils continuèrent ainsi jusqu’au soir et au matin du premier jour, ne cessant d’exprimer leur mépris légitime pour Haman et les ennemis du judaïsme d’alors, mais sous leur bonne foi apparente, ils se répandaient en venin contre les chrétiens, [.. .] c’est d’une voix forte qu’ils s’écrient à tue-tête d’un air entendu, «Soyez maudits tous les idolâtres», et les idolâtres, c’étaient les chrétiens».43
Mais plus tôt encore, l’illustre juriste Marquardo Susanni, protégé de Paolo IV Carafa, le passionné fondateur du Ghetto de Rome, s’étonnait déjà de l’hostilité tenace des Juifs envers le christianisme ainsi que des côtés si particuliers du carnaval de Pourim. Selon lui, «lors de la fête de Mardochée», les Juifs n’hésitaient pas à se saluer en disant, sur un ton méprisant: «Que le roi des chrétiens tombe immédiatement en poussière, comme Haman tomba en poussière».44
Traduction : Francis Goumain
Source : Pâque de Sang, Les Juifs d’Europe et le meurtre rituel juif, Ariel Toaff (Essayiste et historien israélien, né le 17 août 1942. Il est professeur d’histoire à l’université Bar-Ilan. Fils de l’ancien Grand rabbin de Rome Elio Toaff, il est spécialiste de l’histoire des Juifs en Italie)
Disponible sur : The Savoisien
Notes (chapitre8) :
1 Cf. G.L. Langmuir, Thomas of Monmouth. Detector of Ritual Murder, in “Speculum”, LIX (1984), p. 824.
2 Cf. Th. Reinach, Textes d’auteurs grecs et romains relatifs au Judaisme, Paris, 1895, p. 121, no. 60.
3 Josephus, Contra Apion, II, 7-1: “et hoc illos facere singulis annis quodam tempore constituito. Et comprehendere quidem Graecum peregrinum, eumque annali tempore saginare et deductum ad quamdam silvam occidere quidem eum hominem, eiusque corpus sacrificare secundum suas solemnitates, et gustare ex eius visceribus, et iusiurandum facere in immolatione Graeci, ut inimicitas contra Graecos haberent, et tunc in quandam foveam reliqua hominis pereuntis abjicere”, Cf. Rheinach, Textes d’auteurs grecs et romains, cit., pp. 131-132, no. 63.
4 Pour un examen du récit de Damocrite et d’Apione sur les homicides rituels commis par les Juifs dans le Temple de Jérusalem, voir, entre autres, J. Parkes, The Conflict of the Church and the Synagogue, 1934, p. 16; D. Flusser, The Blood Libel against the Jews According to the Intellectual Perspectives of the Hellenistic Age, in Studies on Hellenistic Judaism in Memory of J. Levy, Jerusalem, 1949, pp. 104-124 (in Hebrew); Id., Moza ’alilot ha-dam (“The Origins of the Blood Accusation”) in “Manhanaim”, CX (1967), pp. 18-21; J.N. Sevenster, The Roots of Pagan Anti-semitism in the Ancient World, Leyden, 1975, pp. 140-142.
5 Cf. Reinach, Textes d’auteurs grecs et romains relatifs au Judaisme, Paris, cit., pp. 196-197, no. 112.
6 Ainsi, le dernier passage de cette haraita est traduit par le rabbin Dovid Kamenetsky, dans la récente édition du Talmud babylonien, avec une version en anglais
(Talmud Bavli, Schottenstein Edition, Tractae Ketubos, III, New York, 2000, c. 102b et no. 32): “for it once occurred that a boy was entrusted to those fit to inherit him, and they butchered (or: slew) him on Pesach eve”.
7 «Dans la traduction latine d’extraits du Talmud contenus dans le manuscrit latin 16558 B.N., qui est la principale source de connaissance de la littérature rabbinique dans le monde chrétien au XIIIe siècle, le traité Ketubot n’est pas explicitement mentionné
[…].Il ne contient pas le passage qui vous intéresse (Ketubot 102b). Je ne l’ai jamais trouvé utilisé dans les polémiques, néanmoins, le lien fait avec Pessah aurait très bien pu encourager la croyance au «meurtre rituel»; mais les auteurs des récits antisémite sur ce sujet ne connaissent évidemment rien à la littérature juive. […]. Parmi les nombreuses accusations de meurtre rituel, je ne me souviens pas avoir jamais trouvé d’argument fondé sur ce passage talmudique» [communication écrite du 2 août 2001 du professeur Gilbert Dehan, à qui je tiens à exprimer mes plus vifs remerciements).8 A. Steinzaltz note, à cet égard, que «dans certaines éditions ultérieures (du Talmud), la version Rosh Ha-Shanah (Nouvel An) apparaît à la place de Pessah, dans la crainte que cette expression ne constitue une preuve utilisable par ceux qui accusent les Juifs de meurtre rituel». (Talmud Bavli, Ketubot, Jerusalem, 1988, vol. II, p. 457). Et pourtant, le premier auteur à utiliser le texte de Ketubot dans ce sens semble être le célèbre August Rohling, professeur d’université et l’un des polémistes antisémites autrichiens les plus incisifs, auteur de Der Talmudjude (Munster, 1871). Le passage de Ketubot 102b fut révélé par lui et médiatisé avec une satisfaction mal dissimulée dans une brochure intitulée Ein Talmud fur rituelle Schächten qui a vu le jour en 1892. Hermann L. Strack lui a répondu, argumentant avec passion mais d’une manière pas toujours très convaincante, dans la quatrième édition (Londres, 1892), de son classique essai sur les Juifs et le sacrifice rituel humain (The Jew and Human Sacrifice. Human Blood and Jewish Ritual, pp. 155-168).
9 Talmud Bavli, Vilna, Menachem (Mendele) Man e Simcha Zimel, 1835. Il est à noter que cette édition précède les «révélations» de Rohling de plus d’un demi-siècle et constitue un acte d’autocensure assez surprenant et remarquable. Il n’est pas impossible que les éditeurs du Talmud de Vilnius aient plutôt entendu répondre au doute et à l’embarras du monde juif sur l’interprétation de ce texte dans la version originale, qu’à d’éventuelles attaques extérieures encore longues à venir.
10 Voir à ce sujet le désormais célèbre classique de Ch. Verlinden, L’esclavage dans l’Europe medievale, Brugge, 1955, vol. I, pp. 702- 716. Pour une interprétation un peu trop simplifiée du rôle des Juifs dans la traite des esclaves, voir B. Blumenkranz, Juifs et Chrétiens dans le monde occidental (430-1096), Paris 1960, pp. 18-19, 184-211, à quoi le même Verlinden a répondu (A propos de la place des juifs dans l’économie de l’Europe occidentale au IXème siècles. Agobard de Lyon et l’historiographie arabe, in Storia e storiografia. Miscellanea de studi in onore di E. Dupré-Theseider, Rome, 1974, pp. 21-37).
11 Cf. Verlinden, A propos de la place des juifs, cit., pp. 32-35.
12 «Et cum precedens scedula dictata fuisset, supervenit quidam homo fugiens ab Hispanis de Cordoba, qui se dicebat furatum fuisse a quoda Judeo Lugduno ante annos IIti IIIor, parvum adhuc puerum, et venditum. Fugisse autem anno presenti cum alio, qui similiter furatus fuerat ab alio Judeo ante annos sex. Cumque huis, qui Lugdunesis fuerat, notos quereremus et invenirem dictum est a quibusdam et alios ab eodem Judeos furatos, alios vero eptos ac venditos; ab alio quoque Judeo anno presenti alium puerum furatum et venditum; qua hora inventum est plures Christianos a Christianis vendi et comparari a Judeis, perpatrarique ab eis multa infanda que turpia sunt ad scribendum» (Epistolae Karolini aevi, in «Monumenta Germaniae Historica», III, Hannover, 1846, p. 185). Pour une analyse de ce texte voir notamment, B. Blumenkrantz, Les auteurs chrétiens latins au Moyen Age sur les Juifs et le Judaisme, Paris, 1963, pp. 152-168; Id., Juifs et Chrétiens dans le monde occidentale, cit., pp. 191-195; Verlinden, A propos de la place des juifs, cit., pp. 21-25.
13 Pour une discussion utile sur ce sujet, voir Blumenkrantz, Juifs et Chrétiens dans le monde occidental, cit., pp. 194-195, no. 142; Id., Les auteurs chrétiens, cit., p. 163, no. 53.
14 «Carzimasium autem greci vocant amputatis virilibus et virga puerum quod Virdunenses mercatores ob immensum lucrum facere et in Hispaniam ducere solent» [«Les garçons dont les organes génitaux ont été amputés sont appelés par les Grecs «eunuques». Ces garçons sont castrés par des marchands de Verdun avec un immense profit et sont généralement emmenés en Espagne»], cit., in Verlinden, A propos de la place des juifs, cit., p. 33).
15 Sur les sources arabes attestant du rôle des marchands juifs dans le commerce des eunuques, cf. Verlinden, L’esclavage dans l’Europe médiévale, cit., p. 716; Id., A propos de la place des juifs, cit., pp. 22.
16 Sur les réponses rabbiniques relatives au commerce des jeunes esclaves castrés et sur le rôle de Lucena [à côté de Cordoue] comme centre des castrations, cf. A. Assaf, Slavery and the Slave-Trade among the Jews during the Middle Ages (à partir de sources juives), in “Zion”, IV (1939), pp. 91-125 (in Hebrew); E. Ashtor, A History of the Jews in Moslem Spain, Jerusalem, 1977, vol. I, pp. 186-189 (in Hebrew).
17 Le texte de Natronai Gaon est cité par Assaf dans Slavery and the Slave-Trade, cit., pp. 100-101.
18 Leon de Modena, Historia de’ riti hebraici, Venice, Gio. Calleoni, 1638, pp. 80-81.
19 Le premier à avoir lié la montée du stéréotype chrétien du meurtre rituel à la fête de Pourim et à la pendaison-crucifixion de Haman-Jésus fut Cecil Roth dans son étude désormais classique (C. Roth, Feast of Purim and the Origins of the Blood Accusations, in “Speculum”, VIII, 1933, pp. 520-526). Récemment, marchant sur les rompus de Roth, Elliot Horowitz et Gerd Mentgen ajoutaient d’autres documents attestant de phénomènes de violence antichrétienne lors de la célébration de Pourim (cf. E. Horowitz, And It Was Reversed. Jews and Their Enemies in the Festivities, in «Zion», LIX, 1994, pp. 129-168, in Hebrew; Id., The Rite to Be Reckless. On the Perpetration and Interpretation of Purim Violence, in «Poetics Today», XV, 1994, pp. 9- 54; G. Mentgen, The Origins of the Blood Libel, in «Zion», LIX, 1994, pp. 341-349; Id., Über den Ursprung der Ritualmordfabel, in «Aschkenas», IV, 1994, pp. 405-416). On the status quaestionis, voir le résumé précis de I.J. Yuval, «Two Nations in Your Womb». Perceptions of Jews and Christians, Tel Aviv, 2000, pp. 179-181 (in Hebrew), et la stimulante récente monographie de E. Horowitz, Reckless Rites. Purim and the Legacy of Jewish Violence, Princeton, (N.J., 2006.
20 Voir à ce sujet T.C.G. Thornton, The Crucifixion of Haman and the Scandal of the Cross, in “Journal of Theological Studies”, XXXVII (1986), pp. 419-426; A. Damascelli, Croce maledizione e redenzione. Un’ eco di Purim in Galati 3, 13, in “Henoch”, XXIII (2001), pp. 227-241.
21 “Quomodo (judaei) vocant Iesum de Nazaret quem adorant christiani? […] Dicit quod (inter se) vocant Ossoays et Talui et quando locunt cum Christianis vocant Christo” [«Comment les Juifs parlent des adorateurs de Jésus? […] [entre eux] ils l’appellent Ossays ou Talui mais quand ils s’adressent à des chrétiens, ils l’appellent le Christ»] (cf. An. Antoniazzi Villa, Un processo contro gli ebrei nella Milano del 1488, Milan, 1986, p. 111).
22 L’expression utilisée dans le texte est «maledicta et ludibriosa passio» [Une passion maudite et obscène] (cfr. Damascilli, Croce, maledizione e redenzione, cit.).
23 Cf. J.G. Frazer, The Golden Bough, London, 1913, IX, pp. 359- 368, 392-407 (traduit en Italien par Il ramo d’oro. Studio sulla magia e la religione, Turin, 1991).
24 Cf. Parkes, The Conflict of the Church and the Synagogue, cit., p. 234.
25 Cfr. H. Schreckenberg, Die christlichen “Adversos Judaeos”. Texte und ihr literarisches und historisches Umfeld, Frankfurt am Main – Bern, 1982, p. 543; Mentgen, The Origins of the Blood Libel, cit., pp. 341-343. Ce dernier essai insiste sur le lien entre Pourim, connue sous le nom de « fête des lots », et la date à laquelle la loterie annuelle de la communauté juive pour déterminer le lieu où procéder au meurtre rituel annuel (Norwich, Valreas, etc.).
26 Natan b. Yechiel, Arukh, Pesar, G. Soncino, 1517, cc. 162v-163r (s.v. shwwr). Voir aussi Shoshanat ha’ amaqim. ’Emeq ha-Purim. Ozar minhagin we-hanhagot le-chag Purim (“Treasure of the Rites and Customs of the Feast of Purim”), Jerusalem, 2000, pp. 111-112.
27 La coutume est rapportée dans les scripts rituels du rabbin Chaim Palagi, Mo’ed le-chol chay («A Time Established for Every Living Thing?»), Smyrna, B.Z. Rodit, 1861, c. 243rv.
28 À cet égard, voir mon Mangiare alla giudia. La cucina ebraica in Italia dal Renascimento all’età moderna, Bologna, 2000, pp. 166- 167.
29 Cf. ibidem, p. 166. Sur les Hamantaschen en particulier, voir N.S. Doniach, Purim or the Feast of Esther. An Historical Study, Philadelphia (Pa.), 1933, p. 103.
30 La référence apparaît dans J. Trachtenberg, The Devil and the Jews, Philadelphia (Pa.), 1961, p. 154, no. 43.
31 À titre d’exemple, le quotidien saoudien « Al-Ryad » du 13 mars 2002 a publié un article sur la fête juive de Pourim, rédigé par un professeur zélé de l’université du nom du roi Faysal. L’historien Umaya Ahmed Al-Jalahama, dans son article, affirmait que dans la préparation des sucreries juives connues sous le nom d’«oreilles d’Haman», les Juifs devaient se procurer le sang coagulé, sous forme de grumeaux ou de poudre, d’un petit enfant chrétien ou même musulman. Comme nous l’avons vu, cet ajout est aussi audacieux qu’anhistorique, ce qui semble néanmoins tout à fait compréhensible, compte tenu de la portée de l’essai telle qu’établie par l’auteur, et du public pour lequel il écrivait.
32 Pour une description et une évaluation du texte de Socrate sur les faits d’Inmestar, voir, entre autres, Strack, The Jew and Human Sacrifice, cit., p. 176; J. Juster, Les Juifs dans l’Empire romain; leur condition juridique, économique et sociale, Paris, 1914, vol. II, p. 204; Parkes, The Conflict of the Church and the Synagogue, cit., p. 234; Trachtenberg, The Devil and the Jews, cit., pp. 127-128; Blumenkranz, Les auteurs chrétiens, cit., p 58; M. Simon, Verus Israel. Etude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l’Empire romain (135-425), Paris, 1964, p. 160.
33 L’hypothèse selon laquelle le stéréotype de l’accusation de meurtre rituel à Pâque dériverait du comportement des Juif à Pourim, telle que soutenue par Roth (cf. Roth, Feast of Purim, cit., p. 521; «Il ne serait pas si anormal que ce soit les esprits les plus grossiers parmi les Juifs eux-mêmes qui aient instillé dans le déroulement de la fête un esprit de raillerie de la religion [chrétienne]», et par tous ceux qui le suivent, dont encore récemment Mriri Rubin, qui traite des accusations de profanation de l’Hostie (cf. M. Rubin, Gentile Tales. The Narrative Assault on Late Medieval Jews, New Haven, Conn, 1999, p. 87: «Que les Juifs, excités par l’ambiance de la fête, aient pu s’amuser à jouer des tours à leurs voisins et à leurs croyances, n’est que par trop crédible»), est dédaigneusement rejetée par Langmuir. L’affaire du meurtre rituel, dans ses deux variantes de la crucifixion et de la consommation de sang, n’aurait été qu’une invention chrétienne géniale, entièrement le fait d’ecclésiastiques du Moyen Âge. Tous ces historiens, en particulier, les Juifs, qui tentent de rattacher ces accusations à la conduite des Juifs, fût-elle mal interprétée [par les chrétiens], se seraient trompés intentionnellement de peur d’avoir à affronter l’historiographie chrétienne, incapables qu’ils sont de comprendre le poids de l’irrationnel dans l’esprit humain, ou pire, parce qu’ils se sont fourvoyés dans l’idée fantaisiste que les Juifs auraient un quelconque poids dans l’Histoire. (cf. Langmuir, Toward a Definition of Antisemitism, Berkely – Los Angeles – Oxford, 1990, pp. 209-296)
34 Le bourg en question est bien Brie-Compte-Robert dans l’Ile-de-France, comme le montrent les ouvrages de William C. Jordan et Shim’on Schwarzfuchs, cités dans la note ci-dessous, et non Bray-sur-Seine, comme soutenu par la majorité des savants jusque-là.
35 Il est question de cet épisode, non seulement dans les ouvrages de Roth, Horowitz et Trachtenberg, déjà cités, mais aussi chez W.C. Johnson, The French Monarchy and the Jews. From Philip Augustus to the Last Capetians, Philadelphia (Pa.), 1989, pp. 36, 270-271; Id., Jews, Regalian Rights and the Constitution in Medieval France, in AJS Review, XXIII (1998), pp. 1-16; Sh. Schwarzfuchs, A History of the Jews in Medieval France, Tel Aviv, 2001, pp. 155-156 (in Hebrew).
36 Le texte utilise ici le verbe talah (li-tlot, wa-yitlu), qui, comme on l’a vu, peut se traduire indifféremment par «pendre».
37 La citation est extraite du Sefer Zechirah by Efraim de Bonn. Cf. A.M. Haberman, Sefer ghezerot Ashkenaz we-Zarfat («Book of Perscutions in Germany and France»), Jerusalem, 1971, p. 128.
38 Manuele da Visso a été accusé et condamné «super eo quod dicebatur dixisse et fecisse aliqua illicita de Cruce» (cf. A. Toaff, The Jews in Umbria, I: 1245-1435, Leyden, 1993, p. 76-77).
39 “Quod omnia eius brachia et etiam genua sibi dicti spiritus asperuissent et devasstassent cum quibusdam stecchis” (cfr. Toaff, The Jews in Umbria. III: 1484-1736, Leyden, 1994, pp. 1116-1118; Id., Il vino e la carne, Bologna, 1989, p. 171-172).
40 Les accusés juifs ont été jugés coupables «de jugulatione Christi in formam crucifixi» (cf. R. Segre, Jews in Piedmont, Jerusalem, 1986, vol. I, pp. 171-172).
41 Cfr. M. Luzzati, Ebrei, chiesa locale, principe e popolo. Due episodi di destruzione di immagini sacre alla fine del Quattrocento, in “Quaderni Storici”, XXII (1983), no. 54, pp. 847-877; Toaff, Il vino e la carne, cit., pp. 156-158.
42 Simonsohn, The Jews in the Duchy of Milan, Jerusalem, 1982, vol. I, pp. 199-200.
43 Cfr. Giulio Morosini, Derekh Emunah, Via della fede mostrata agli ebrei, Rome, Propaganda Fede, 1683, p. 836.
44 «Et in festo Mardochai quod adhuc (Judaei) celebrant XV Kalendas martii, ubi conterunt ollas in Synagogis, dicentes: sicut contritus est Aman, sic conteratur velociter regnum Christianorum» [«Et pendant la fête de Mardochée, que les Juifs célèbrent encore le 15 mars, ils brisent des jarres dans la synagogue, en disant : ainsi Haman a été détruit, ainsi le royaume des chrétiens sera rapidement détruit.»] (Marquardo Susanni, Tractatus de Judaeis et aliis infidelibus, Venice, Comin da Trino, 1558, cc. 25v-26r)
A lire aussi, « Meurtres rituels juifs » par Arnold S. Leese, traduit de l’anglais par Valérie Devon. Sur l’esclavage des Blancs, il y a le livre de Alexandre Skirda, “L’esclavage des Blancs du VIIIème au XVIIIème siècle”.