Marcel Proust, d’origine juive par sa mère, mais française par son père, n’était pas un nationaliste et était même dreyfusard. Il n’en était pas moins patriote et son œuvre a été qualifiée de « profondément française » par le journaliste de Je Suis Partout Pierre-Antoine Cousteau. Dans ce texte méconnu et émouvant du Temps retrouvé (dernier volume d’A la Recherche du temps perdu), Proust rend hommage aux civils de l’arrière qui ont fait preuve d’un admirable dévouement pour améliorer le moral et les conditions de vie des soldats du front, soigner les blessés, assurer la fonctionnement des arsenaux, des usines, des fermes, secourir les veuves de guerre et les orphelins. On notera que l’écrivain, quoique lui-même homosexuel, n’hésite pas à flétrir l’attitude de certains de sa coterie pendant la guerre.
Si l’héroïsme des soldats est à rappeler et à honorer, n’oublions pas le rôle discret, efficace et salvateur des civils durant la grande épreuve qu’a traversée la France.
« Or on avait vu cette chose si belle, qui fut si fréquente à cette époque-là dans tout le pays et qui témoignerait, s’il y avait un historien pour en perpétuer le souvenir, de la grandeur de la France, de sa grandeur d’âme, de sa grandeur selon Saint-André-des-Champs, et que ne révélèrent pas moins tant de civils survivants à l’arrière que les soldats tombés à la Marne. Un neveu de Françoise avait été tué à Berry-au-Bac qui était aussi le neveu de ces cousins millionnaires de Françoise, anciens grands cafetiers retirés depuis longtemps après fortune faite. Il avait été tué, lui tout petit cafetier sans fortune qui parti à la mobilisation âgé de vingt-cinq ans avait laissé sa jeune femme seule pour tenir le petit bar qu’il croyait regagner quelques mois après. Il avait été tué. Et alors on avait vu ceci. Les cousins millionnaires de Françoise et qui n’étaient rien à la jeune femme, veuve de leur neveu, avaient quitté la campagne où ils étaient retirés depuis dix ans et s’étaient remis cafetiers, sans vouloir toucher un sou ; tous les matins à 6 heures, la femme millionnaire, une vraie dame, était habillée ainsi que « sa demoiselle », prêtes à aider leur nièce et cousine par alliance. Et depuis près de trois ans, elles rinçaient ainsi des verres et servaient des consommations depuis le matin jusqu’à 9 heures et demie du soir, sans un jour de repos.
Dans ce livre où il n’y a pas un seul fait qui ne soit fictif, où il n’y a pas un seul personnage « à clefs », où tout a été inventé par moi selon les besoins de ma démonstration, je dois dire à la louange de mon pays que seuls les parents millionnaires de Françoise ayant quitté leur retraite pour aider leur nièce sans appui, que seuls ceux-là sont des gens réels, qui existent. Et persuadé que leur modestie ne s’en offensera pas, pour la raison qu’ils ne liront jamais ce livre, c’est avec un enfantin plaisir et une profonde émotion que, ne pouvant citer les noms de tant d’autres qui durent agir de même et par qui la France a survécu, je transcris ici leur nom véritable : ils s’appellent, d’un nom si français d’ailleurs, Larivière. S’il y a eu quelques vilains embusqués comme l’impérieux jeune homme en smoking que j’avais vu chez Jupien et dont la seule préoccupation était de savoir s’il pourrait avoir Léon à 10 heures et demie « parce qu’il déjeunait en ville », ils sont rachetés par la foule innombrable de tous les Français de Saint-André-des-Champs, par tous les soldats sublimes auxquels j’égale les Larivière. »
Léon
D’ailleurs pour compléter le tableau à propos de Marcel Proust, allez au Père Lachaise sur sa tombe en granite noire et vous y verrez gravée une croix !
Emmanuel Berl, qui a fait la guerre, écrivait des lettres à Proust et celui-ci lui a raconté combien il était ému de trouver des traces de terre dans les enveloppes.
Merci pour ces intéressantes précisions.
J’ai subi pendant des mois l’étude du « Temps perdu » de Proust à l’université.
Malgré ces quelques lignes qui précèdent, l’ensemble du texte traduit la dégénérescence d’une époque, la paresse, la préciosité, une sensiblerie décadente.
Le fait qu’au lendemain de la Guerre, le « Temps perdu » de Proust se soit trouvé en concurrence, pour les prix littéraires, avec « Les Croix de Bois » de Roland Dorgeles, célébrant le courage dans les tranchées, et que les cénacles intellectuels aient choisi de privilégier l’oeuvre de Proust annonçait hélas les décennies de laisser-aller et de renoncement aux valeurs qui allaient préparer la débâcle de 1940.
Un peuple lecteur de Proust allait affronter les lecteurs de Nietzsche et de Spengler… On connait la suite.
Cher Monsieur,
Le jury du Goncourt avait couronné cinq années de suite des ouvrages écrits par des soldats des tranchées. En 1919, la paix revenue, une partie du public aspirait à lire autre chose que la littérature de guerre. C’est Léon Daudet, qu’on ne peut accuser de « sensiblerie décadente », qui fut l’artisan de l’attribution du prix à A l’Ombre des jeunes filles en fleurs.
Par ailleurs, des auteurs aussi éminents que Rebatet et Céline ont fait l’éloge de l’œuvre de Proust. Pierre-Antoine Cousteau lui a consacré une anthologie et Maurice Bardèche une étude.
Une partie de son œuvre peut être en effet qualifiée de frivole. Mais la frivolité, entendue comme l’amusement, la légèreté et le délassement, ne fait-elle pas partie de la vie ? En revanche écrire que Proust encourage à la « paresse » est un contresens.
Son œuvre comporte par ailleurs les considérations les plus profondes sur l’art, sur l’art français en particulier, sur la mort, sur l’amour, sur la politique. Il existe un Proust antisémite méconnu, sur lequel Jeune Nation reviendra peut-être. Malheureusement, on fait généralement étudier aux élèves Un amour de Swann, qui est sans doute la part la moins intéressante de la Recherche.
Cordialement.
Réponse amicale à Jean-Paul Le Perlier
Et pourtant « La Recherche du Temps Perdu » m’a enchanté .On peut être très viril et être enchanté par La Recherche »!
Il y a un texte tiré du « Plaisir et des Jours » qui « défend » la mauvaise musique; vous pouvez le retrouver facilement; c’est magnifique.
La conclusion d’un « Amour de Swann est fort pertinente; on devrait le connaître pour ne pas s’engager avec une femme parce qu’elle entre dans l’univers de nos rêves (Je cite de mémoire) et qu’on veuille mourir pour elle: « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre! »
La poésie est partout dans »La Recherche » cf l’évocation des clochers etc.
Ma critique est bien légère à côté de la vôtre, mais l’essentiel n’est-il d’avoir évoqué de Proust ?
Cordialement