DEPUIS la dissolution surprise de l’Assemblée nationale par le Président de la République le dimanche 9 juin au soir, il est frappant de constater la différence de comportement entre la gauche et la droite (ou ce qui en tient lieu). La gauche, pourtant fortement divisée sur nombre de sujets essentiels — comme par exemple la question du sionisme, du nucléaire ou de la construction européenne —, sait s’unir, malgré quelques couacs ici ou là, et ce en quelques jours seulement, et jeter la rancune à la rivière, au moins temporairement, au nom du rassemblement nécessaire face au prétendu « danger fasciste ».
Quand on se souvient des noms d’oiseaux que s’échangeaient les responsables de gauche ces derniers mois, et encore ces toutes dernières semaines, se traitant même d’antisémites, l’insulte suprême en République, il est à peine croyable que le camp dit abusivement des forces de progrès ait réussi à s’unir dans toutes ses composantes, de François Hollande à Philippe Poutou, du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) — officiellement poursuivi pour apologie publique de terrorisme après sa prise de position soutenant sans réserve l’offensive du Hamas du 7 octobre 2023, position qu’il n’a jamais reniée ni vraiment nuancée depuis —, à Place publique du communautaire et très sioniste Raphaël Glucksmann. C’est en effet le porte-parole du NPA, Philippe Poutou, qui représentera le Nouveau Front Populaire (NFP) dans la première circonscription de l’Aude et c’est François Hollande qui est le candidat du même Nouveau Front Populaire dans la première circonscription de la Corrèze, un Hollande contre lequel la Macronie ne présente pas de candidat, « par respect de sa fonction passée ». Le Nouveau Front populaire va donc d’un ancien président socialiste de la République au porte-parole d’un mouvement activiste d’extrême gauche au programme anticapitaliste et antisioniste très radical. On croit rêver !
QUELLE différence avec le spectacle offert à “droite” depuis une semaine où la dissolution annoncée par le chef de l’Etat agit chaque jour davantage comme une bombe à fragmentation ! Reconquête et LR sont en effet divisés, déchiquetés et déchirés comme jamais. La situation pour les deux partis est même totalement ubuesque. Il y aura ainsi plusieurs candidats estampillés LR dans plusieurs dizaines de circonscriptions : 62 postulants (sur 577 circonscriptions, soit un peu plus de 10 %, ce qui n’est pas considérable) étant soutenus dès le premier tour par le RN — c’est une candidature commune RN-LR : en réalité c’est une absorption de LR tendance Ciotti par le RN, vu la disproportion des forces et des scores entre les deux mouvements — et près de 400 candidats étant investis par l’autre courant de LR, lui-même d’ailleurs écartelé entre ceux soucieux d’une stricte indépendance (comme Bellamy, Wauquiez ou Retailleau) et ceux favorables, plus ou moins ouvertement, à un rapprochement avec les forces résiduelles de la Macronie (comme Copé, Pécresse ou Larcher). Précisons que Ciotti a agi de façon solitaire, sans prévenir à aucun moment les instances dirigeantes du parti de ses intentions, mais toutefois après avoir pris soin de contacter le magnat des media, Vincent Bolloré, et d’obtenir son feu vert à sa volonté d’alliance avec le RN, ce qui en dit long sur la réelle répartition des pouvoirs dans notre pays. Mais même dans le front LR anti-Ciotti, on ne s’entend pas : Bellamy, président des Républicains par intérim, déclare qu’au second tour, entre le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national, il votera pour le RN (même s’il a depuis quelque peu nuancé sous pression sa position) tandis que Xavier Bertrand dit exactement l’inverse. Comprenne qui pourra. Nous assistons en direct à l’implosion de LR, et peut-être à sa disparition. Nous ne nous en plaindrons pas vu comment ce parti issu du gaullisme, puis du chiraquisme, a gouverné le pays.
Et que dire du spectacle offert par Reconquête qui, en un seul jour, perd 80 % de ses élus européens (4 sur 5) et son unique sénateur (Stéphane Ravier). Si le parti réussit in extremis à présenter 330 candidats (contre 549 cependant en 2022), son score sera certainement très modeste. Il aura été tué, ou en tout cas fortement affaibli, par la trahison de Marion Maréchal. Décidément, le clan Le Pen (Marine, Marion) a la trahison dans le sang. Car objectivement l’argument de Marion Maréchal pour s’opposer à Zemmour ne tient pas la route une seconde : vu les scores très élevés du RN (à plus de 30 %) et ceux fort modestes de Reconquête (à 5 %, et probablement bien moins aux législatives, avec le phénomène de vote utile dû au scrutin majoritaire uninominal à deux tours), nulle part en France, dans aucune circonscription sur 577, ou quasiment dans aucune, la présence d’un candidat de Reconquête n’aurait empêché la qualification d’un candidat du RN au second tour du scrutin.
DE PLUS, appeler Reconquête, comme l’a fait publiquement Marion Maréchal, à ne présenter de candidats nulle part au premier tour, dès lors que le RN refuse tout accord avec le parti de Zemmour, c’est tuer politiquement et asphyxier financièrement le mouvement, le financement public se calculant en effet sur les résultats (en nombre de voix) obtenus au premier tour des législatives (et également sur le nombre de sièges de députés). Ne pas présenter de candidats aux législatives pour un parti, cela signifie renoncer pour cinq ans à tout financement public et à toute présence politique et médiatique lors de la campagne électorale et de ses suites. En agissant ainsi, Marion Maréchal avait donc incontestablement la claire et nette volonté de tuer Reconquête qui l’a pourtant financée et mise en avant pendant la campagne des européennes (combien de militants et sympathisants de base ont-ils fait de dons pour aider le mouvement et sa tête de liste ?), même s’il est vrai qu’il y avait beaucoup de bisbilles en interne et que la guerre était totale entre les deux jeunes femmes, Knafo et Maréchal, preuve, soit dit en passant, que, contrairement à ce que l’on répète couramment, l’extrême féminisation de la vie politique n’est pas de nature à en adoucir les mœurs.
C’est néanmoins une trahison objectivement odieuse et lamentable de la part de Marion Maréchal, une trahison que rien ne justifie, si ce n’est peut-être le fait d’œuvrer au « regroupement familial » entre la nièce et la tante comme l’a souligné un Zemmour manifestement défait et écœuré. Le Professeur Jean-Claude Martinez, qui a eu naguère comme étudiantes à Assas et Marine et Marion, a toujours dit, pour avoir bien connu les deux jeunes femmes, que « Marion est pire encore que Marine », ce qui n’est pas peu dire, vu le peu d’estime de l’universitaire septuagénaire envers la benjamine de Jean-Marie Le Pen ! Et tout cela est encore plus choquant lorsque, comme Marion Maréchal (et l’eurodéputée Laurence Trochu, présidente du Mouvement conservateur), on se réclame ouvertement du catholicisme, on se drape dans la défense des valeurs traditionnelles et de l’Evangile. La trahison, en mettant par-dessus de l’eau bénite, sans avoir l’air d’y toucher, et avec un sourire Colgate, est encore plus infâme !
CE QUI est toutefois amusant et pittoresque dans l’affaire, c’est que, cette fois, ce sont les goyim qui trahissent les juifs (Zemmour et sa maîtresse sépharade, Sarah Knafo, qui se retrouvent l’un et l’autre Gros-Jean comme devant) et non l’inverse, même si Marion Maréchal a eu pour père biologique un agent du Mossad, Roger Auque, aujourd’hui décédé. Comme quoi, dans la vie politique, comme d’ailleurs dans la vie tout court, les choses sont infiniment plus complexes et beaucoup moins manichéennes qu’on ne le pense parfois. Certes, Zemmour a aussi ses torts. Incontestablement. En se comportant de manière clanique avec sa maîtresse, en ne faisant pas preuve d’un minimum de souplesse et surtout en faisant confiance à ce qu’il a appelé à juste titre, mais bien tardivement, « des traîtres professionnels » comme Guillaume Peltier (passé du FN au MNR, puis du MNR au MPF de Villiers, puis chez LR, puis à Reconquête, puis se rapprochant du RN) et Nicolas Bay (passé du FN au MNR, puis de nouveau du MNR au FN, puis du RN chez Zemmour, puis à nouveau de Reconquête vers le RN), le fondateur de Reconquête ne pouvait pas s’attendre à d’autres résultats.
Mais, disons-le franchement, comment faire confiance à des personnalités se comportant de manière aussi lamentable et odieuse ? On connaît l’adage que l’on doit à l’écrivain Paul Bourget : « à force de vivre contrairement à ce que l’on pense, l’on finit par penser comme l’on vit ». Comment croire que de tels politiciens mettraient en œuvre, une fois aux responsabilités, un programme de renaissance nationale lorsque, par ailleurs, ils agissent de manière moralement et humainement aussi détestable ? Qui a trahi trahira. La droite suppose la droiture. Or, tous ces gens en sont dramatiquement dépourvus. Et c’est ce qui rend très improbable, et ce quels que soient les scénarios d’après-scrutin, un quelconque redressement du pays. Car cela suppose des principes, des vertus, une ferme volonté de servir le bien commun, toutes dispositions dont l’actuel personnel politique est totalement exempt, toutes tendances confondues. Marine Le Pen n’a ainsi rien trouvé de mieux que de saluer publiquement la déclaration très révélatrice de Serge Klarsfeld selon laquelle entre le RN et LFI, au second tour, il votera RN car ce dernier n’est plus, selon lui, un parti antisémite contrairement à celui de Mélenchon. Et quant à Bardella, s’adressant aux femmes et désireux de défendre « leurs droits », il vient de rappeler pour les séduire le vote solennel de Marine Le Pen et du RN, en mars 2024, en faveur de la constitutionnalisation du « droit à l’avortement ». On le voit, on est là à des années-lumière d’un quelconque vrai changement. […]
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Source : Éditorial de Rivarol