Georges Romain, Le Moyen Âge fut-il une époque de ténèbres et de servitude ? – 23 €
Réédition du livre de Georges Romain, Le Moyen Âge fut-il une époque de ténèbres et de servitude ?
Les éditions Vox Gallia, spécialisées dans les livres sur les grandes figures françaises et catholiques, ont eu le bon goût de rééditer cet excellent ouvrage de l’historien médiéviste Georges Romain, initialement publié en 1889.
Ce livre salutaire entend répondre à l’historiographie républicaine et jacobine du XIXe siècle qui dépeint le Moyen Âge comme une époque obscure, faite de guerres brutales, de tyrannie politique et d’obscurantisme religieux.
Pour éviter toute confusion, l’auteur distingue bien les différentes époques qui sont habituellement réunies sous le vocable « Moyen Âge » : la période des invasions barbares (IVe au VIIe siècle), l’âge d’or de la féodalité (IXe au XIIe siècle) et la centralisation progressive du pouvoir à partir de Philippe le Bel qui remplaça progressivement l’équilibre constitué par la féodalité (XIIIe au XVIe siècle). La prétendue « violence » concerne surtout la première période et était essentiellement le fait d’envahisseurs que nos bons rois ont eu le courage de repousser. Quand aux abus pouvoir attribués à la royauté par la propagande républicaine… l’auteur montre bien que la féodalité permettait justement de garantir un équilibre entre les puissants du royaume de France.
Le Moyen Âge était une période de formidable essor culturel (nos Universités et nos Monastères étaient le phare du monde dans des domaines aussi variés que la théologie, la philosophie, l’astronomie ou les mathématiques), de libertés publiques (la commune et la corporation permettaient au sujet du roi de s’exprimer sur les questions qui le concernaient directement, contrairement à la démocratie représentative…) et l’Eglise a mis en place un système d’entraide sociale fondé sur la charité chrétienne bien supérieur à l’individualisme des sociétés libérales où les clochards sont de plus en plus nombreux chaque année.
Alors, si vous souhaitez redécouvrir le Moyen Âge, hors du prisme déformant de l’éducation « nationale »…
Disponible sur Arts Enracinés
Redécouvrons la scolastique
La Scolastique a démontré la fausseté du Nominalisme et de l’Averrhoïsme, poison qui entrera autour de 1230 dans le monde chrétien grâce aux traductions de Michel Scot
(1175-1232), à la fois philosophe, médecin, alchimiste et astrologue. L’œuvre d’Averroès (1126-1298), d’abord noyée dans le flot des auteurs arabes, a peu à peu émergé lorsque Saint Thomas d’Aquin et les dominicains ont décidé de commenter Aristote en remontant à sa source : le texte grec. A contrario, des maîtres de la Faculté des Arts ont enseigné l’aristotélisme en reprenant l’enseignement d’Averroès. Ce courant sera baptisé au XIXème siècle « averroïsme latin » par Ernest Renan. Ses principaux représentants ont été Boèce de Dacie (décédé vers 1284), Signer de Brabant (1240-1284) et Jean de Janus (1280-1328). Une dispute a éclaté entre Michel Scot et Albert Le Grand (1193/1206-1280), dominicain, docteur de l’Église, et Saint Thomas d’Aquin, lorsque ceux-ci ont attaqué de front la doctrine averroïste de l’Intellect agent unique pour tous les hommes qui constitue en elle-même une nouvelle hérésie : le Monopsychisme, hérésie selon laquelle les hommes partagent une seule âme.
Pour cette scolastique, le travail est une activité honorable. Influencés par Aristote, les penseurs de ce courant distingueront deux catégories de travaux :
• Les « artes possessivae », qui sont la maîtrise de l’agriculture, de l’industrie et de l’administration ;
• Les « artes pecuniativae », qui sont du domaine du superflu, du luxe, de la maîtrise des taux de change et l’activité la plus malhonnête, l’usure (qui porte en elle la gestation des futures banques).
Dans la Somme théologique, de Saint Thomas d’Aquin, l’Économique (Oeconomia) désigne l' »administration domestique », axe de l’horizontalité qui doit permettre d’être ordonné à celui de la verticalité (la spiritualité). Le but est de « vivre bien » et de contribuer au « bien commun », qui est le salut des âmes. Posséder des richesses n’est donc pas une finalité mais un moyen. Il indique que cet art sert au chef de famille, mais aussi au chef de la Cité ; Saint Thomas a donc su synthétiser les nuances apportées par Aristote (Somme théologique, question 77, « De la fraude »). « L’économique » ne constitue pas une discipline autonome ; il appartient au champ de la Morale et de la Justice (récompenser ou châtier un sujet selon ses œuvres).
Le Docteur angélique se référant à Aristote (Politique) distingue deux sortes d’échange :
• L’échange ‘’naturel et nécessaire’’, soit par le troc soit par la monnaie qui permet de se procurer ‘’les denrées nécessaires à la vie’’, il en profite pour rappeler le rôle de l’homme, chef de famille ou de la Cité.
• L’échange consiste ‘’à échanger argent contre argent, ou des denrées quelconques contre de l’argent », non plus pour satisfaire les besoins, mais « pour le gain ». C’est la société marchande dans laquelle nous vivons, elle alimente la ‘’cupidité’’ de façon illimitée.
Cette antinomie aristotélicienne entre bonne et mauvaise chrématistique s’étend évidemment au ‘’sang du pauvre’’ qui est l’argent, il y a en effet une bonne et une mauvaise monnaie comme un sang pur qui oxygènise et un pus fétide qui gangrènise. Mais Saint Thomas d’Aquin ne jette pas l’anathème sur les négociants qui pratiquent un ‘’juste prix’’, cela n’est pas contraire à la vertu si l’intention du commerçant est moralement bonne et vise à subvenir à sa famille et à secourir les ‘’indigents’’, charité pour l’’’utilité sociale’’ permettant à l’État de ne s’occuper que de ses fonctions régaliennes (Justice, battre et émettre monnaie, défense du territoire). Dans l’enseignement scolastique, ce profit peut être assimilé à une sorte de salaire, récompensant la peine, l’effort fourni.
Il faut préciser que la France du nord fut le grand foyer d’intelligence dans l’Europe du bas Moyen Âge, Paris fut la capitale de la scolastique, des étudiants de toute l’Europe venaient y étudier XIIIe siècle à commencer par l’Italien saint Thomas d’Aquin. L’aristotélisme scolastique qui est la théologie, la philosophie, la logique enseignées au Moyen Âge à partir du XIIe siècle dans les universités et les écoles cathédrales (Chartres, Laon par exemple) et qui avait pour caractère essentiel de tenter d’accorder la raison et la révélation en s’appuyant sur les méthodes d’argumentation aristotélicienne est le phénomène culturel et historique le plus important du bas Moyen Âge, phénomène qui a connu sa plus grand fortune dans la France du nord médiévale dans un rayon de 250 km autour de Paris, au cœur de cette France gallo-franque de langue d’oïl, qui est constituée par le quadrilatère relié par les diagonales Angers-Reims et Nancy-Rouen. La scolastique a connu aussi une grande efflorescence à Cologne en Allemagne, à Oxford en Angleterre, à Padoue en Italie, mais c’est toutefois entre Somme et Loire qu’elle s’est le plus épanouie. Notre histoire intellectuelle a malheureusement trop tu ou ignoré la scolastique à cause des sarcasmes malheureux des humanistes italiens et d’une conjuration de toute l’intelligence européenne contre elle à partir du XVIe siècle, il suffit de lire Rabelais … Et pourtant la scolastique fut aussi une renaissance de la philosophie et des humanités, mais ce fut une renaissance intellectuelle qui s’est mise incontinent et uniquement au service de la foi (philosophia ancilla theologiae selon l’expression consacrée) pour l’asseoir sur des bases beaucoup plus sûres et démonstratives, ce qui explique la fortune extraordinaire d’Aristote (et beaucoup moins de Platon à cette époque) de nouveau disponible grâce aux sources arabes permise par la translatio studiorum suite à la prise de Tolède en 1085 et le grand mouvement de traduction subséquent mis en œuvre dans le cours du XIIe siècle. Ce qui a tant déplu aux humanistes européens à partir du XVIe siècle et je ne parle pas des Lumières, c’est le rôle uniquement ancillaire de la philosophie et par extension de la culture et de l’intelligence. Comme le dit le grand savant italien Eugenio Garin, on lisait aussi Virgile au Moyen Âge, mais pour y rechercher la confirmation des vérités de foi. Dans la scolastique, on peut inclure aussi toute la philosophie arabe médiévale acculturée chez les Latins (entendre au Moyen Âge les Européens de l’Ouest) grâce à la translatio studiorum susmentionnée des rives du Tage et du Guadalquivir aux rives de la Seine, au premier chef Averroès, Avicenne, Alfarabi et Avempace.
Quant à la question de l’intellect agent que vous soulevez, ce fut en effet une des controverses les plus importantes de cette époque, parce qu’elle conditionnait tout simplement la possibilité de la foi catholique : appartient-il à l’individu ou est-il universel ? Alexandre d’Aphrodise, le commentaire antique le plus célèbre d’Aristote, et les commentateurs arabes du Stagirite diront qu’il n’y en a qu’un, ce qui vaudra de fameux palabres chez tous les scolastiques latins. S’il n’y en qu’un commun à tous les être, on ne peut être sauvé, car la doctrine du salut postule une âme unique à chaque être, ce qui est logique. Cette doctrine de l’intellect agent unique est fondamentalement païenne, il a fallu beaucoup de débats, de disputes ordinaires comme quodilbétales pour arriver à trouver une solution.
J’ai donc mentionné tout ça pour bien insister sur l’appartenance très profonde de la scolastique à notre histoire au point même que les Italiens de la Renaissance appelaient le latin scolastique le « stylus parisiensis ». Fernand Brunetière dans son impérissable Manuel d’histoire de la littérature française, Paris, Librairie Ch. Delagrave, 1899, p. 22, la loue également et reconnaît les services signalés qu’elle a rendus à l’esprit français, écoutons-le : « On ne se demande pas sans quelque inquiétude ce qu’il fût advenu de l’esprit français s’il eût persévéré dans cette direction [il venait de démontrer que « c’était un esprit de gausserie, d’ironie et déjà de révolte » comparé aux autres nations], ou plutôt –car il y devait persévérer, et nous le verrons bien,- si cette influence de l’esprit gaulois n’avait été, presque dès le début, contrebalancée par d’autres influences, au premier rang desquelles il faut placer la scolastique ».
LA BOITE DE PANDORE FUT OUVERTE PAR LES CLERCS (USURE)
L’École de Salamanque ou l’ouverture des Chrétiens au prêt à intérêt
Les progrès de la navigation avec le développement du commerce terrestre et maritime à la fin du Moyen Age, l’ouverture des routes maritimes, la découverte de l’Amérique, la colonisation de nouveaux territoires, le développement des foires, la recherche de débouchés, et de nouveaux produits, a favorisé l’apparition de meilleures conditions pour inciter les entrepreneurs à se lancer dans de nouvelles et lucratives affaires. Le besoin de crédit pour acheter des produits et en faire le commerce a conduit à une évolution des instruments existants et des règles en vigueur. Dans cette perspective, le prêt a cessé d’être uniquement lié à l’autoconsommation pour s’attacher à la production. Un groupe de théologiens et juristes espagnols et portugais du XVIème siècles liés à l’ancienne université de Salamanque va être confronté à cette nouvelle situation et conduits à une réflexion sur le problème qui lui était posé.
Il va réinterpréter la pensée de Saint Thomas d’Aquin et postuler que les sources de la justice, du droit et de la morale ne peuvent plus être recherchées dans les textes sacrés ou les traditions mais dans l’examen de la nature à la lumière de la raison. Cette position de l’École de Salamanque qui va ainsi voir le jour va mettre fin aux concepts médiévaux du droit et l’étude de l’économie d’un point de vue moral. Les droits naturels de l’homme vont devenir, d’une manière ou d’une autre, le centre d’intérêt tant pour ceux relatifs au corps (droit à la vie, à la propriété) que ceux liés à l’esprit (droit à la liberté de pensée, à la dignité).
On a coutume de distinguer au sein de cette École de Salamanque deux écoles, celle des Salmanticenses établie par des Dominicains et celle des Conimbricenses formée de Jésuites qui avaient pris la relève des Dominicains. La première, créée par Francisco de Vitoria (vers 1483-1546), arrivera à son apogée avec Domingo de Soto [(1494-1560) connu par le magistral protocole de la controverse de Valladolid]. La seconde aura parmi ses membres Francisco Suarez (1548-1617).
A la fin du XVème siècle, on admettait dans le monde chrétien que le désir d’enrichissement était une hérésie et donc un péché mortel, aussi des négociants espagnols établis à Anvers iront-ils consulté le Père Francisco de Vitoria sur la légitimité morale de commercer pour s’enrichir. Cette confrontation aux réalités va amener celui-ci et d’autres théologiens à s’intéresser aux questions économiques.
Dans la résolution du problème qui lui était posé, Vitoria va s’éloigner des positions médiévales et mettre en exergue de nouveaux principes tirés de la loi naturelle : L’ordre naturel repose sur la liberté de circulation des personnes, des biens et des idées ; de cette façon, les hommes peuvent se connaître les uns et les autres, et augmenté ainsi les sentiments communs d’appartenance à une même communauté. Aussi les négociants ne peuvent-ils être réprouvés sur le plan moral, on doit au contraire admettre qu’ils servent le bienêtre général. L’École de Salamanque va trouver diverses raisons pour justifier la perception d’un intérêt. La personne qui reçoit le prêt obtient un bénéfice au prix de l’argent obtenu. L’intérêt peut être considéré comme une prime pour le risque qu’a le prêteur de perdre son argent. Il peut aussi être perçu comme la compensation d’un manque à gagner pour le prêteur perdant la possibilité d’utiliser son argent à autre chose. Ainsi avec l’École de Salamanque, l’argent en est venu à être considéré comme une marchandise dont on pouvait recevoir un bénéfice (l’intérêt).
Les « lacunes » des théologiens médiévaux concernant la théorie médiévale du coût de production comme ‘’juste prix des marchandises’’ furent alors abordés. En effet, les premiers scolastiques ne construisaient pas même sous une forme embryonnaire, une approche en termes de prix concurrentiel, mettant en jeu le mécanisme de l’offre et de la demande. Celui-ci sera pris en compte par la « seconde scolastique » de Salamanque, qui a développé une théorie subjective de la valeur et du prix et défendu l’idée d’un libre marché où « le juste prix » est déterminé par la loi de l’offre et de la demande. Puisque l’utilité d’un bien varie d’une personne à l’autre, le « juste prix » est apprécié par l' »estimation commune » (communis aestimatio), qui peut être attestée par des hommes sages, non impliqués directement dans la transaction, un prix coutumier, fixé en dehors de toute manœuvre d’accaparement, de monopole de vente, de tromperies ou d’intervention du gouvernement. Dans les faits, le « juste prix » est délimité à l’intérieur d’une fourchette variable selon le temps et le lieu. Vendre au-dessus de la limite supérieure (pretium summum) est une injustice commise envers l’acheteur (c’est un profit illicite), vendre au-dessous de la limite inférieure (pretium infimum) est une injustice commise envers le vendeur, qui ne pourra pas entièrement couvrir les frais de production du bien. Mais ce ‘’juste prix’ ’peut également correspondre à un prix légal, fixé par une autorité légitime.
L’APPORT DES GRECS CHEZ LES SCOLASTIQUES
LA SCIENCE DU MOUVEMENT CHEZ LES SCOLASTIQUES
Le livre VIII de la Physique d’Aristote s’arrête au seuil de la Métaphysique (préfixe du Grec après) ce qui expliquerait peut-être l’inscription « Au Dieu Inconnu » au fronton d’un temple grec. La Révélation apportée par le Christ a illuminé cette raison, la science du Thomisme rend raisonnable la foi. Si la raison humaine par l’induction et la déduction peut arriver à prouver l’existence d’un premier moteur immobile, acte pur, pourquoi ne pourrait-elle pas par analogie atteindre le troisième degré d’abstraction de l’esprit humain, celui de l’invisible, celui des purs esprits, celui de Dieu ?
En reprenant le cinquième point d’Aristote, le premier moteur, qui n’est pas mû par un autre, soit il est immobile soit il se meut par un autre. Dans la seconde hypothèse, le R.P. Gardeil écrit : « Qu’il soit composé d’une partie motrice immobile et d’une partie mobile, mais dans l’un et l’autre cas il y aura donc un premier moteur immobile ». Cette preuve montre qu’il est clair qu’il existe un premier moteur immobile. Mais ce premier moteur est-il Dieu pour autant ? Est-il unique ? Dans le livre La Physique, le raisonnement d’Aristote s’arrête là : il ne précise pas si ce premier moteur est absolument unique ou s’il correspond à un ensemble de mouvements, auquel cas il y aurait autant de premiers moteurs que d’ensembles unis de mouvement.
Aristote dans La Métaphysique et Saint Thomas d’Aquin dans La Somme Théologique montrent que le premier moteur immobile ne peut être tel que s’il est parfaitement en acte. Pourquoi ? En fait, le premier moteur est immobile, il n’est pas causé, et il n’est pas corporel, il est parfaitement simple. C’est l’acte pur. C’est quelque chose, un être qui ne comporte aucune puissance, aucun mélange de puissance et d’acte, parfaitement en acte. Et s’il est parfaitement en acte, il ne peut être qu’unique, puisque deux êtres parfaitement en acte, parfaitement parfaits ne se distingueraient en rien. L’acte pur ne peut être qu’unique. Il ne peut y avoir deux actes purs sinon il n’y aurait rien qui les différencieraient et Dieu ne serait pas Dieu.
En d’autres termes, la preuve de La Physique conduit naturellement à la preuve métaphysique et donc à la démonstration de l’existence d’un premier moteur parfaitement en acte, l’acte pur, qu’on appelle Dieu. Si on suit le cours naturel de la Cosmologie ou Physique de la nature, celle-ci nous conduit directement aux questions métaphysiques, aux questions de l’être, aux questions de la cause et des principes de l’être.
Cependant, certains auteurs modernes confondent étrangement puissance purement passive de la matière avec puissance active des causes efficientes, affirmant que la matière première des Thomistes n’est qu’un vaste devenir panthéistique qui se développe tout seul, et revêt successivement toutes les formes de l’univers. L’évolution panthéistique suppose un germe unique qui par sa seule activité se développe et devient Tout, de Rien absolu, ou de presque rien qu’il était à l’origine, négation invraisemblable du principe de causalité, conception anti-scientifique et anti-philosophique.