Le retour aux sources, 182 pages, 20 €
C’était la saison des morilles (et nous n’avions pas le droit d’aller les ramasser)
« C’est la saison des morilles ». Y a-t-il jamais eu un pays dans lequel cette petite phrase aurait pu susciter l’attention suspicieuse des autorités ? Une époque quelconque où elle ne pouvait être prononcée, d’un air entendu, qu’entre gens de confiance et en faisant attention de ne pas en dire trop, en veillant soigneusement à rester sur le mode sibyllin ? Eh bien si, et ce pays, c’était la France, l’époque, le confinement. Dans ce pays, au demeurant celui de la gastronomie, il n’aurait surtout pas fallu ajouter «et j’ai fait des ris de veau aux morilles». Parce que les morilles, ça sort en avril, période du confinement, et dans les forêts, zones interdites. Une omelette aux morilles – ou aux asperges sauvages, avril est aussi la période des asperges sauvages dans la garrigue – ce n’était certainement pas prévu dans le formulaire d’attestation de sortie, cette attestation ne faisait qu’une page or tout ce qui n’était pas prévu sur cette page était, de fait, interdit : forcément, ça ne laissait pas tellement de possibilités.
Durant toute cette période, inouïe dans toute l’histoire de France, pensez donc, les bistrots étaient fermés, ce n’était même pas arrivé sous Pétain, ce fichu morceau de papier, ce laissez-passer, aura constitué l’horizon indépassable de tout un peuple. Indépassable ? Voir, tout le monde a pris conscience plus ou moins rapidement qu’il se passait quelque chose d’anormal, qu’il fallait regarder au-dessus et bien au-delà de la tête de l’insignifiant petit président de la République et de sa porte-parole dystopique. Nous étions peut-être en train de vivre des temps eschatologiques, déjà, l’année précédant le confinement, c’était aussi en avril, Notre-Dame était partie en fumée nous laissant nous débrouiller seuls sur la Terre : le signal de fin, il était là.
Ensuite, dans la foulée, il y a eu ce virus, cette pandémie. Ceux qui avaient vécu la Seconde Guerre mondiale, qui pensaient avoir tout vu, ne pensaient sûrement pas se retrouver de nouveau aux avant-postes de l’histoire. Eux qui avaient vécu « la grande histoire des Français sous l’occupation » pour reprendre le titre d’Henri Amouroux, ne s’attendaient pas à revenir sur la fin de leurs jours à « la grande histoire des Français sous le confinement ».
Les parallèles avec la drôle de guerre, puis avec l’invasion et l’occupation ne manquent pas avec cette invasion virale et le confinement qui s’en est suivi. Mais du moins, Henri Amouroux avait attendu trente ans pour rédiger et faire paraître le premier tome de sa chronique.
Jean-Michel Vernochet, né juste après la Seconde Guerre mondiale, pense au contraire qu’il faut prendre l’histoire à bout portant, l’événement lui a paru si grave et si lourd de sens, qu’il a dès le départ compris qu’il y avait lieu d’en faire une chronique et de la restituer au public le plus rapidement possible. Parce que cette chronique ne se veut pas seulement un ouvrage d’histoire, mais un acte de combat. Il est peut-être encore temps de déjouer le sort et de reprendre la main.
Francis Goumain
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