SANTO SUBITO. Saint tout de suite ! A entendre les commentaires dans les media audiovisuels, à lire les communiqués des dirigeants du pays et des différents politiciens, mais aussi la presse imprimée, la disparition le dimanche 3 octobre au matin dans son hôtel particulier parisien, 52 rue des Saints-Pères, de Bernard Tapie est celle d’un saint. Les télévisions et radios ont déprogrammé leurs émissions habituelles devant l’importance de l’événement. Les admirateurs de l’affairiste ont aussitôt déposé des fleurs devant son domicile parisien, comme cela avait déjà été fait il y a deux ans pour Jacques Chirac, un autre escroc de haut vol. Un portrait géant de l’ancien président de l’Olympique de Marseille a été dressé devant le stade Vélodrome. Un hommage solennel lui sera rendu dans le stade et Tapie qui a construit sa fortune sur le dos de centaines, de milliers d’ouvriers qu’il a licenciés sans ménagement, sans vergogne ni remords de conscience, de salariés qu’il a laissés froidement sur le carreau en achetant des entreprises au franc symbolique, en les dégraissant et en les revendant à un prix très élevé, aura droit à un office religieux solennel dans la cathédrale de la cité phocéenne par l’“archevêque” de Marseille en personne qui, n’en doutons pas, ne tarira pas d’éloges sur le défunt.
Rien n’est trop beau, ni trop grand pour l’homme qui a pourtant menti, triché, volé toute sa vie, qui n’hésitait pas non plus à jouer des poings lorsqu’on le contredisait ou qu’on le contrariait. Dès sa prime jeunesse, comme le note sa notice Wikipédia, le faisan « s’invente un cursus scolaire qui aboutit à l’école d’électricité industrielle de Paris et l’obtention d’un diplôme de technicien en électronique alors qu’il a vraisemblablement pour seul bagage un certificat d’études primaires ». Outre ce parcours scolaire romancé, il « perpétuera la tradition du mensonge dans d’autres domaines pour se concocter un itinéraire décent et aguicheur » selon le journaliste Christophe Bouchet. Tapie est en effet un malfrat qui, dès son plus jeune âge, a tenté de se faire attribuer des primes en s’attribuant de faux résultats, si bien qu’il fut prié de quitter Panhard après six mois à peine au service commercial. Un malfrat nuisible qui, après s’être pourtant engagé la main sur le cœur, le menton et le verbe haut, à maintenir les emplois, se fit une spécialité du dépeçage des entreprises, réduisant par exemple une partie de la ville de Lisieux au chômage (affaire Wonder). Un malfrat parvenu à s’introduire au plus haut niveau de l’Etat, grâce au très peu recommandable Mitterrand mais rattrapé par des inculpations d’abus de biens sociaux et obligé de démissionner de ses fonctions ministérielles après quarante jours d’exercice (affaire Toshiba). Un malfrat de grande envergure condamné définitivement au civil (mais non au pénal du fait de son décès qui a éteint les poursuites) pour l’affaire de l’arbitrage frauduleux qui lui a permis d’obtenir 403 millions d’euros de fonds publics.
ON LE VOIT, TAPIE n’est pas seulement un arriviste sans scrupule, c’est un véritable escroc, un spécialiste des manipulations, des détournements et des forgeries en tous genres pour s’enrichir et duper autrui. Il fait parler de lui dans les media pour la première fois en 1980 après avoir racheté très en dessous de leur valeur (à peine 10 % de leur prix réel !) les châteaux de l’ancien dictateur centrafricain Bokassa, en lui faisant croire mensongèrement que ses châteaux allaient être saisis par les autorités françaises. Bokassa ayant porté plainte, le tribunal d’Abidjan fait annuler la vente, ce qui est confirmé le 10 décembre 1981 par un jugement exécutoire du tribunal de grande instance de Paris. Mais il y a bien pire encore. Comme le rappelait notre ami, le journaliste retraité Jean-Paul Le Perlier, dans un récent droit aux lettres (RIVAROL du 9 juin), le cynisme de Tapie allait très loin et méprisait jusqu’à sa parentèle, laissant ainsi la grand-mère qui l’avait pourtant élevé dans la misère la plus noire. « Quand on sait que même les mafiosos les plus cyniques n’en sont pas moins respectueux envers leurs géniteurs, écrivait Le Perlier dans nos colonnes, on touche au plus abject lorsque ce cynisme s’exerce aux dépens des parents les plus proches, telle Léonce Tapie, vivant au Blanc-Mesnil dans une misérable bicoque où l’eau s’infiltrait par les toits délabrés, mais que le petit-fils qu’elle avait élevé refusait de mettre en état alors même qu’il venait de s’offrir l’un des plus beaux yachts du monde. Ce dont je témoigne d’autant plus volontiers qu’ancien journaliste à Minute et après avoir écrit un article sur ce sujet, j’ai gagné un procès contre Bernard Tapie grâce au témoignage d’un huissier ayant repris mon enquête dans les détails… En matière de malfaisance et de cynisme, certains cochent absolument toutes les cases et ce n’est pas la complicité de certains journalistes, poussant la complaisance jusqu’à instrumentaliser quelques chimiothérapies pour faire pleurer Margot, qui y changera quelque chose… » concluait fort justement Le Perlier.
On est loin là de l’homme chaleureux, jovial, charitable, prévenant, débonnaire que l’on veut nous vendre. Ce n’est pas parce que Tapie a eu, comme des millions de Français, un cancer et qu’il s’est battu, comme eux, contre cette maladie, ce n’est pas non plus parce que l’homme était énergique, combatif et fougueux, que cela en fait quelqu’un d’estimable et de vertueux. Car cette énergie était mise exclusivement au service de sa personne et de ses magouilles en tous genres, et nullement au service du bien commun. On lui sait gré d’avoir été un grand président de l’OM mais on oublie de dire que s’il a obtenu des victoires, c’était en ne reculant devant aucune méthode déloyale voire mafieuse, comme en témoigne entre autres le match truqué à sa demande explicite entre VA et l’OM, ce qui lui vaudra plusieurs mois de prison.
MINISTRE de la Ville dans le gouvernement Bérégovoy, il ne fit rien d’autre, comme tous ses successeurs à cette fonction démagogique, que d’acheter la paix sociale en banlieues allogènes à force de subventions et autres arrangements en espèces sonnantes et trébuchantes. Entre les caïds des cités et le malfrat Tapie, il pouvait y avoir un terrain d’entente. Même si cela n’a pas empêché Tapie et sa seconde épouse d’être victimes il y a quelques mois d’un violent cambriolage par des « chances pour la France » qu’il avait pourtant défendus si longtemps par pure démagogie antiraciste et électoraliste. Et aussi par intérêt sordide. En effet, en s’engageant contre « l’extrême droite », il pensait sans doute qu’on lui pardonnerait tous ses délits, et il est vrai que Mitterrand le protégea et le défendit aussi longtemps qu’il fut à l’Elysée. Avec son culot monstre et sa gouaille de bonimenteur, il affronta plusieurs fois dans des débats télévisés Jean-Marie Le Pen, se présenta à Marseille, traita le président du FN et tous ses électeurs de “salauds”, ce qui n’empêcha pas Le Pen, manifestement séduit par le personnage, de le recevoir à Montretout, de “préparer” en amont (de truquer ?) un débat avec lui sur Antenne 2 en 1994 (celui avec les gants de boxe exhibés par Paul Amar), de maintenir, à la demande explicite de Tapie, un candidat FN en triangulaire aux législatives pour favoriser son élection et de tweeter juste après son décès ces mots dithyrambiques, sans la moindre réserve sur le malfrat : « On a parlé et on parle encore des “années Tapie”, c’est dire le caractère exceptionnel de sa personnalité, je salue sa mémoire ». Eric Zemmour s’est montré aussi élogieux, alors même que Tapie a toujours été un immigrationniste forcené, tout en vivant bien sûr dans les plus beaux quartiers : « Quel homme ! Au-delà de nos désaccords ponctuels, je retiendrai un homme au tempérament exceptionnel, à l’humour ravageur, jusqu’aux dernières minutes de sa vie. »
Que même ceux censés avoir été ses adversaires politiques et idéologiques manient ainsi l’encensoir, sans la moindre retenue ni réserve, est stupéfiant. Qu’on canonise ainsi un homme qui toute sa vie fut un aigrefin, un coquin, un faquin et un gredin, qui récemment encore soutenait Muselier en PACA, soit le pire politicien qui soit, qui militait ouvertement pour l’euthanasie active et le suicide assisté (il avait décidément tout pour plaire !), qui n’a vécu toute sa vie que dans le mensonge, le vice, la tricherie et le déshonneur, en dit long sur notre monde frelaté, faisandé et avarié, sur le Tout-Paris tout pourri, sur une société malade au point de glorifier toutes les inversions. Comment en effet donner des principes solides à notre jeunesse, lui inculquer le sens du beau, du bien et du vrai quand on porte ainsi au pinacle un malfrat aussi cynique ? Notre monde marche décidément sur la tête.
[…]Jérôme BOURBON, RIVAROL.