Au début des années trente, la situation en Allemagne devenait franchement explosive. Le chômage atteignait un tiers de la population active et les institutions démocratiques étaient au bord de l’effondrement. Les communistes y voyaient là leur meilleure occasion de prendre le pouvoir depuis leur révolution avortée de 1918. Une révolution semblait imminente, mais malgré le soutien de quelques millions d’électeurs et celui de l’Union soviétique, le pouvoir semblait devoir échapper à l’emprise marxiste. C’est que les Allemands se tournaient de plus en plus vers un nouveau genre de socialisme, le National-Socialisme, et même certains communistes commençaient à lorgner du côté d’Adolf Hitler et à considérer qu’il était peut-être la planche de salut.
La réponse des Rouges face à cet état de fait fut d’une extrême violence. Une des victimes les plus emblématiques fut Horst Wessel, assassiné en 1930, il avait 21 ans, il était l’auteur des paroles du Horst Wessel, l’hymne des SA (« chemises brunes ») puis du NSDAP. Deux ans plus tard, à l’approche des élections de juillet 1932, les Rouges abandonnèrent tout semblant de débat et de concertation, la terreur la plus sanglante était désormais à l’ordre du jour.
Dans les semaines précédant l’élection, il y eut plus de 450 émeutes pour la seule Prusse-Orientale. En juillet, 38 nazis et 30 communistes furent tués. Mais la terreur Rouge échoua. Aux élections, les nationaux-socialistes firent plus que doubler leur nombre de sièges au Reichstag, y devenant de loin le plus grand parti. En janvier 1933, le président Hindenburg ne pouvait que s’incliner devant l’inévitable et demandait à Adolf Hitler de former une coalition de gouvernement. Les élections générales de mars de la même année amplifièrent encore la victoire du NSDAP et de ses alliés.
La fureur des Rouges n’eut alors plus de limite. Dans la campagne de violences qui s’ensuivit en dehors de toute légalité, les syndicats communistes appelaient ouvertement leurs sympathisants à désarmer les SA, tandis que quelques jours plus tard, une publication officielle communiste, Roter Matrose [le marin rouge], appelait les travailleurs « aux barricades, en avant la victoire, des munitions fraîches pour les fusils, dégoupillez les grenades ».
Un bain de sang semblait imminent, on attendait avec anxiété le signal du déclenchement de la révolution, et on a bien cru le voir le 27 février, avec l’incendie déclenché au Reichstag.
Un communiste Hollandais, Marinus Van der Lubbe, fut arrêté à proximité de la scène, puis, lui et quatre autres suspects, dont Ernst Torgler, le chef de file communiste au Reichstag furent envoyés devant la justice. Le rapport de l’enquête à l’instruction montrait que « le groupe communiste avait tenu dernièrement au Reichstag toute une série de réunions sans le moindre motif tangible ». Au Liebknechthaus (le QG des communistes, ainsi dénommé en souvenir de la révolution avortée de 1918), les autorités découvrirent une longue liste de personnalités à exécuter ou à arrêter.
Van der Lubbe reconnaissait qu’il avait mis le feu au bâtiment et que l’incendie devait donner le signal de la révolution. Mais il prétendait, contrairement aux conclusions des expertises judiciaires, avoir agi seul. Il ne démordait pas de sa version, mais à l’extérieur, les Rouges faisaient courir le bruit que c’étaient les nationaux-socialistes eux-mêmes qui étaient à l’origine de l’incendie et que Van der Lubbe n’était qu’un déficient mental à moitié dégénéré, un homosexuel qui se prostituait et qu’on avait placé là pour jouer le rôle du « coupable idéal ».
Dès le surlendemain de l’incendie, le Daily Worker (précurseur du Morning Star), l’organe officiel du Parti communiste anglais, titrait en manchette de la première page : « Les nazis réduisent en cendres le parlement », il poursuivait en déclarant que les « fascistes » accusaient le Parti communiste « sans l’ombre d’une preuve ».
Ainsi naissait l’un des plus grands mythes de l’histoire contemporaine – que les nationaux-socialistes avaient mis le feu à leur propre Parlement pour fournir le prétexte à une répression anticommuniste. Il faut reconnaître qu’Hindenburg (qui n’était pas nazi) y a indirectement contribué par ses réactions : au lendemain de l’incendie, par crainte d’un début de révolution communiste, il décrétait la loi martiale et interdisait la propagande communiste dans toute la Prusse.
Le mythe était encore alimenté par l’adoption de la loi d’habilitation, une modification de la constitution de Weimar faussement présentée comme accordant des pouvoirs dictatoriaux à Hitler. La loi n’avait rien à voir avec l’incendie, c’était une mesure d’exception rendue nécessaire pour permettre à l’action gouvernementale de faire face à la grave crise économique et sociale que traversait le pays. C’est néanmoins l’adoption de cette loi qui a prêté le flanc au tissu de mensonges et de falsifications qui a fini par tenir lieu de vérité historique.
Le procès de Van der Lubbe et des autres prévenus aurait dû dissiper toutes suspicions à l’encontre des nazis. C’était un procès scrupuleusement équitable qui a débouché sur l’acquittement de tous les accusés à l’exception de Van der Lubbe lui-même.
Mais il en fallait plus pour désarçonner la propagande communiste : certains réfugiés en exil se lançaient aussitôt dans la rédaction d’un livre beige, une sorte de recueil de preuves destiné à alimenter un contre-procès d’opérette – lequel s’est effectivement tenu à Londres et a sans surprise conclu à la culpabilité des nationaux-socialistes.
Selon ce livre beige, un « commando nazi » s’est introduit au Reichstag via un tunnel relié à la résidence officielle du président du Reichstag, Hermann Göring. Le commando avait pénétré le bâtiment le soir à 8 h 40, avait déclenché l’incendie et s’était enfui à neuf heures en abandonnant sur place Van der Lubbe, le simple d’esprit. À 9 h 22, la police faisait son apparition sur les lieux, et, selon les témoins au « contre-procès » – soi-disant des nazis repentis – elle était emmenée par un membre des chemises brunes, Heines. Sauf qu’on a pu établir par la suite que Heines donnait ailleurs au même moment un discours.
On nous présente aussi souvent la « confession » de Karl Ernst, le chef des chemises brunes de Berlin. Outre le fait qu’elle n’ait fait surface qu’après sa mort, elle achoppe, comme d’autres confessions, sur un point essentiel : elle prétend que les incendiaires nationaux-socialistes ont opéré à l’intérieur du Reichstag le soir entre 8 h 40 et 9 h 30. Or, il se trouve qu’à 8 h 45, un facteur est passé dans le bâtiment pour relever le courrier et qu’il en est ressorti à 8 h 55 sans rien voir d’anormal ni remarquer une quelconque odeur d’essence ou d’autres substances inflammables.
On ne connaît pas encore toute la vérité sur cet incendie, mais on dispose au moins de quelques faits de base indiscutables – assez en tout cas pour écarter l’implication des nationaux-socialistes – qui ont été mis en lumière par A. J. P. Taylor, le célèbre professeur britannique, lequel, plutôt de gauche, reconnaissait avoir gobé le mythe sans se poser de questions ni chercher à vérifier. Mais par la suite, se fondant en grande partie sur des preuves fournies dans un article du Spiegel par Fritz Tobias, un fonctionnaire allemand antinazi, Taylor, dans le numéro d’août 1960 de la revue History Today, faisait valoir que les nationaux-socialistes n’avaient fait aucun effort pour étoffer l’accusation par de fausses preuves – ce qui paraît bien étrange si toute l’affaire n’était qu’un coup monté pour justifier une répression anticommuniste. Quant au fameux contre-procès, l’un des témoins présentés était, d’après Taylor, « emmitouflé jusqu’aux oreilles », « une sage précaution étant donné qu’il s’agissait d’un communiste bien connu au physique immanquablement juif ».
À considérer les faits, il semble incroyable que le mythe des « nazis incendiaires du Reichstag » ait pu passer aussi facilement, même auprès de grands historiens comme Alan Bullock auteur du Hitler : A Study in Tyranny. C’est à se demander combien d’autres versions mythiques d’épisode historique ont pu ainsi passer au travers « sans consultation des preuves à disposition ».
Traduction : Francis Goumain
Source : The Journal for Historical Review, Summer 1981 (Vol, 2, No. 2), pages 177-180. | Fire In The Reichstag (ihr.org)