Trente ans après la disparition de l’URSS, la Chine est devenue sans conteste l’adversaire premier des Etats-Unis. Les dirigeants américains doivent notamment déterminer ce que devra être leur attitude si la Chine décide d’agresser Taïwan. De même, le Japon, allié majeur des Américains dans la région, sera probablement menacé le moment venu par les Chinois, ce qui contraindra là encore les Etats-Unis à effectuer des choix risqués. S. Huntington envisageait ainsi le risque d’un conflit mondial déclenché par un affrontement entre la Chine et le Japon à propos d’îles contestées en Mer de Chine.
Or il faut souligner que les Américains se sont mis tout seuls dans cette situation dangereuse de confrontation avec la Chine et ont créé eux-mêmes cet adversaire qui les menace. C’est en toute liberté qu’ils ont décidé d’intégrer la Chine dans l’OMC en 2000, afin de pouvoir délocaliser une partie de leur industrie en Chine et y bénéficier des faibles coûts de production. Les autres pays occidentaux ayant imité les choix américains, la Chine est devenue en quelques années l’atelier du monde. Elle a pu ainsi accumuler en peu de temps des excédents commerciaux considérables et des réserves en dollars, lesquelles réserves lui ont permis de prêter aux Etats Unis, en déficit commercial permanent : la Chine est ainsi devenue créancière de la première puissance mondiale. En termes de PIB, la Chine est désormais la deuxième économie. Grâce aux capitaux accumulés, elle a investi massivement à l’étranger, notamment en occident, et pris le contrôle de nombreuses entreprises. De ce fait la Chine a pu devenir également une puissance militaire majeure, son budget militaire étant le deuxième du monde derrière celui des Etats-Unis (voir ici). Même si la qualité des armements chinois est un point d’interrogation et qu’on ne connaît pas l’ampleur de l’écart technologique existant probablement avec les Etats-Unis, la puissance militaire chinoise est d’ores et déjà suffisamment significative pour l’autoriser à conduire une politique de présence agressive en Mer de Chine, comme elle le fait depuis une dizaine d’années.
Les Américains et les autres pays du camp occidental à leur suite, ont d’autre part procédé à des exportations et à des transferts de technologies au profit de la Chine, en lui vendant par exemple des avions de ligne, que les Chinois se sont empressés de copier. La Chine est ainsi devenue une puissance dans le domaine aérien, ce qui a sans doute accru d’autant ses capacités militaires.
Redisons-le, ce sont les Américains eux-mêmes qui ont fabriqué cet adversaire de toutes pièces. S’ils ne l’avaient pas intégré au commerce mondial et s’ils n’y avaient pas délocalisé leurs entreprises, la Chine serait restée un pays économiquement non développé et ne représenterait aujourd’hui aucun danger, en dépit de sa puissance démographique et du caractère totalitaire de son régime.
Le responsable de cette attitude américaine peu cohérente voire suicidaire n’est autre que le libéralisme économique. Au sein des sociétés occidentales, dont le système économique est le libéralisme, il existe en effet des forces puissantes et diverses qui ont tendance à agir en sens opposés. Certaines sont constituées pour rechercher, en principe du moins, l’intérêt général et la pérennité de la nation, de la société et de la civilisation : c’est le cas en particulier de l’Etat et des différents pouvoirs publics. D’autres forces, en revanche, ne visent par nature que leur intérêt particulier et ne raisonnent nullement en fonction des intérêts à long terme du ou des pays dans lesquelles elles évoluent : c’est le cas des entreprises privées, en particulier les entreprises multinationales. C’est ainsi que les entreprises privées occidentales avaient intérêt à délocaliser en Chine et ne se sont aucunement souciées, conformément à leur nature d’entreprises lucratives, des effets de leur attitude sur la situation de leur pays d’origine. On touche là l’une des principales faiblesses des pays à économie libérale (étant entendu que l’économie étatisée présente elle-aussi, cela va sans dire, des fragilités et des tares, bien plus nombreuses et graves). Lénine avait bien identifié le point de faiblesse majeur des pays occidentaux lorsqu’il énonçait cet aphorisme : « les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons ».
Source : Paysan Savoyard