Jour après jour, le message des autorités sanitaires françaises reste le même. « Il ne faut pas porter de masque quand on n’est pas professionnel de santé », rappelait mardi soir le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon lors de son point presse quasi quotidien. « Porter un masque dans la rue ne sert à rien si on n’est pas malade », répète à l’envie le ministre de Santé sur les plateaux de télévision. La logique de ces conseils – mensongers ?- est connue : le masque de chirurgien est conçu pour éviter qu’un malade ne projette des gouttelettes chargées en virus. Il ne serait pas destiné à protéger celui qui le porte.
Certes, mais tout le monde constate malgré tout que ces mêmes masques chirurgicaux servent désormais à protéger bien des soignants, médecins généralistes comme infirmiers ou aides-soignants. Pourquoi ne pourraient pas porter de masque ceux qui s’aventurent hors de leur domicile pour aller faire leurs courses essentielles ? En fait, ces petits rectangles filtrants protègent évidemment aussi les bien-portants qui les portent ! Même s’ils ne sont pas une protection absolue.
Le discours des autorités est en réalité guidé par deux raisons, toutes les deux aussi scandaleuses : la pénurie de masques et la fausse doctrine de leur inefficacité sur les biens portants. Sans oublier nos derniers stocks de masques, généreusement envoyés en Chine il y a quelques semaines, alors que l’épidémie pointait le bout de son nez ici et que les pouvoirs publics en étaient prévenus (cf : les révélations larmoyantes – on devrait la plaindre ? – de l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, d’une famille juive originaire de Łódź, Pologne).
La pénurie criante de masques
La première n’est plus un mystère : notre pays fait face à une pénurie criante de masques. Et ils doivent bien évidemment être réservés aux personnes à la fois les plus indispensables et les plus exposées que sont les personnels soignants.
Jour après jour, la colère monte parmi eux, dépourvus des protections les plus élémentaires contre les risques élevés de contamination. Et les masques promis par le gouvernement arrivent, mais trop tard et pas en nombre suffisant. Hier, un communiqué expliquait que les médecins généralistes allaient pouvoir enfin disposer de 18 masques chacun. Pour une semaine entière ! Un nombre dérisoire, sachant que les médecins doivent fournir un masque aux visiteurs qui se présentent en consultation avec des symptômes suspects.
Cette pénurie est d’autant plus douloureuse à accepter quand on sait qu’elle vient principalement de l’incapacité du ministère de la Santé à maintenir les commandes destinées à garantir les stocks stratégiques il y a quelques années.
En 2009, le nombre total de masques FFP2 atteignait, selon un rapport du Sénat, plus de 579 millions d’unités ! Parmi ceux-ci, 463 millions relevaient du stock stratégique et 116 millions du stock des établissements de santé. Le décompte émanait de l’EPRUS, l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, dissous en 2016. Le ministère de la Santé avançant même le chiffre « d’environ 700 millions » de masques FFP2. Pour les masques chirurgicaux, on comptait un milliard d’unités en stock !
En 2011, un avis est rendu à la Direction générale de la santé par le Haut Conseil de Santé Publique (HCSP), composé de personnalités qualifiées et de directeurs généraux du ministère chargé de la santé. Ce dernier préconise de réserver le masque FFP2, alors en stock, aux «personnels directement exposés à un risque élevé» dont le personnel de santé en cas de crise grave. Il est suivi en 2013, d’un rapport du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) intitulé «doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire». Celui-ci reprend l’avis du HCSP et ajoute que «le recours systématique aux masques de protection respiratoire de type FFP2 a montré ses limites en termes d’efficacité» et doit être réservé à une situation de crise de type «3», qu’il ne décrit pas.
Et sur cette base administrative qu’un second rapport du Sénat du 15 juillet 2015 évoque le changement de «doctrine» en cours dans la gestion des équipements de crise sanitaire, depuis la crise de la grippe H1N1 de 2009. Le rapport du Sénat évoquait en outre le transfert par l’État «de la responsabilité de constituer certains stocks vers d’autres acteurs (par exemple, les établissements de santé et les établissements médico-sociaux pour les masques de protection FFP2 de leurs personnels)». Une résolution qui semble n’avoir pas été suivie des résultats attendus.
À qui revenaient donc ces décisions de réduction des stocks, qui semblent aujourd’hui si lourdes de conséquences ? À l’exécutif uniquement, selon le rapport du Sénat, « in fine, la décision d’acquisition ou de renouvellement des stocks stratégiques appartient exclusivement au ministre chargé de la santé».
Et un document confidentiel de la Direction générale de la santé – cité par Le Figaro – attestent que les stocks sont restés suffisants jusqu’au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2012.
Sous la présidence Sárközy donc. Ensuite, c’est la dégringolade que la présidence Hollande n’est pas venue enrayer…
Thierry Amouroux fulmine : « tous les gouvernements successifs ont été irresponsables, coupables ! Prendre cette décision en 2011, alors qu’il y avait eu plusieurs épidémies mondiales, et que tout le monde savait qu’une pandémie allait arriver ! Il y a un décalage immense entre la technostructure et les professionnels sur le terrain ».
Des économies de bouts de chandelle donc, qui coûtent très cher aujourd’hui…
La fausse doctrine de l’inefficacité des masques sur les biens portants
L’autre raison du discours officiel est liée à une posture proche de la doctrine en Occident, reprise par l’OMS, et qui tient en une phrase : l’efficacité des masques n’est pas prouvée pour le grand public.
Une affirmation qui n’a pas l’air de perturber les experts sud-coréens, taïwanais, et hongkongais, qui arrivent, eux à contenir l’épidémie sur leur sol, et conseillent à toute leur population… de porter un masque ! Une précaution d’autant plus utile concernant le coronavirus, que la grande majorité des personnes infectées ne le savent pas. Voilà qui devrait faire réfléchir les experts français.
Reste que pour Thierry Amouroux, les pouvoirs publics n’ont pas su répondre à « une simple question de bon sens », soulignant que l’intérêt du masque FFP2 pour les soignants, au-delà de leur sécurité, est d’éviter qu’ils ne deviennent eux-mêmes des agents contaminants pour les patients fragiles encore non infectés. Malgré les immenses risques posés par le coronavirus actuel, le praticien ne peut s’empêcher d’imaginer encore pire, pour illustrer l’incurie :
« Imaginez un virus mutant type Ebola: tout le monde y restait ! »
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