Lens, filière syrienne : prison ferme pour Sofiane, Mohamed, Abdel-Atif et Gaëtan
Vendredi midi, comme en début de semaine au cours des débats, Sofiane O., comparaissait devant le tribunal correctionnel de Paris pour « association de malfaiteur en lien avec une entreprise terroriste », aux côtés de quatre autres prévenus, tous accusés d’avoir rejoint ou tenté de rejoindre le groupe « Etat islamique » en Syrie au courant de l’année 2014. Tous fréquentaient une mosquée de Lens (Pas-de-Calais). Ils ont été condamnés à des peines allant de 1 an à 10 ans de prison ferme.
Le plus âgé d’entre-eux, Mohamed E.B., 34 ans, est présenté comme l’instigateur principal et l’organisateur en chef des voyages. Parti en Syrie en septembre 2014 avec femme et enfants – âgés de 4 ans, 2 ans et 7 mois, il y combattrait toujours, et n’est donc pas là pour répondre de ces accusations. En son absence, c’est Gaëtan V. , 23 ans, barbe généreuse « à connotation religieuse», qui est le premier interrogé.
C’est d’abord dans l’armée que Gaëtan cherche des réponses à ses « questionnements » : il intègre le 3ème régiment de Charleville-Mézières (Ardennes) fin 2011. Il démissionne rapidement, et se tourne vers l’islam. Il se convertit dans la foulée, et épouse religieusement sa jeune compagne, qui répond à ses deux « critères principaux » : elle porte le voile intégral, et est d’accord pour émigrer dans un pays appliquant la charia. C’est donc « dans une démarche purement religieuse, et pas pour rejoindre l’EI », jure-t-il à l’audience, que le couple « émigre » à la mi-août 2014 en Syrie, via Istanbul.
Il explique les fichiers djihadistes, les photos d’armes et les vidéos de combattants retrouvés dans son ordinateur par une clef USB remise par Mohamed E.B. « Je voulais des documents religieux sur la Syrie, je ne pensais pas qu’il y mettrait tous ces fichiers », justifie-t-il.
Les frères Abdel-Atif et Sofiane O. partent à leur tour. Tous les trois prennent en tous cas le train pour Luxembourg, le 17 septembre à l’aube. De là, seuls les deux frères O. montent dans l’avion pour Istanbul. « On a profité de l’absence de nos parents – en vacances au Maroc, leur pays natal – pour partir en Syrie », explique Sofiane, d’une voix à peine audible, seul prévenu à comparaître libre.
Leur voyage tourne court : après le vol pour Istanbul, un trajet en bus jusqu’à une ville proche de la frontière syrienne, une nuit à l’hôtel et un dernier trajet en taxi, ils sont interpellés par des militaires turcs alors qu’ils tentent de franchir la frontière avec un passeur. Ils sont emprisonnés douze jours dans les geôles turques, puis expulsés vers la France. Comme Gaëtan, tous deux invoquent un voyage pour des motifs religieux. « Notre seul but était de faire l’hijra », comprendre l’émigration en terre musulmane pour pratiquer un « islam sain », promet Abdel-Atif.
Abdallah B., 25 ans, est le dernier des 5 prévenus à partir en Syrie, qu’il parvient à rejoindre après avoir quitté son domicile lensois le 13 octobre 2014 à l’aube. Il emprunte le parcours « officiel » de l’EI : confiscation du passeport à l’arrivée, entraînement militaire et cours de religion dans une Katiba, avant de prêter allégeance à Daech et d’être envoyé sur le front. Là, il explique s’être rebellé, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi.
Dans son réquisitoire, la procureure a mis les prévenus face à leurs contradictions : « à l’été 2014, période charnière en Syrie, tout le monde sait ce qu’il s’y passe. A fortiori ceux qui s’y intéressent », affirme-t-elle d’emblée, écartant d’un revers de la main les motifs humanitaires ou religieux invoqués par les prévenus, pointant un « projet réfléchi, ancien, et commun ».
Au prononcé du délibéré, vendredi à 13h30, le tribunal a indiqué qu’il n’avait « pas été convaincu » par les explications données par Gaëtan V. et Abdallah B. sur les conditions de leurs sorties de Syrie, les condamnant à 9 ans de prison chacun, une peine plus lourde que les 8 années requises.
Les deux frères O, qui n’ont pas réussi à atteindre la Syrie, sont eux moins lourdement condamnés : Abdel-Atif est condamné à 5 ans, et son jeune frère Sofiane à 3 ans de prison, dont un an ferme, peine qu’il effectuera en étant porteur d’un bracelet électronique. Le grand absent du procès, Mohamed E. B. a quant à lui été condamné en son absence à la peine de 10 ans d’emprisonnement, la peine maximale encourue.