Le Forum économique de Davos s’est tenu la semaine du lundi 16 au vendredi 20 janvier. Comme en mai 2022, lors de la dernière session, la guerre en Ukraine occupait une place centrale dans les discussions de ce grand moment des agapes mondialistes, avec comme seul mot d’ordre : « plus d’armes et plus d’argent pour l’Ukraine ». Le Forum s’est ouvert traditionnellement par un discours de son fondateur Klaus Schwab qui a appelé en anglais « to master the future », sans que l’on sache trop bien s’il voulait « maîtriser le futur » ou être « maitre du futur ». Ce à quoi Elon Musk, qui flirte de plus en plus avec le complotisme, a malicieusement répondu sur twitter que « Master the futur semblait plutôt inquiétant… Le Forum essayerai-il d’être le patron de la terre !? » Certains visiblement ne sont pas dupes.
Cette année et comme en mai dernier, le Forum a connu des changements majeurs. Notamment par l’absence forcée des autorités et hommes d’affaire russes, guerre et sanctions obligent. Les Ukrainiens étaient à l’honneur. Alors que le pavillon, financé par l’oligarque juif d’Ukraine Victor Pinchuk, installé le long de la promenade principale de Davos, fut bondé tout au long de la semaine, celui de la Russie avait disparu. Le bâtiment qui a été pendant des années le site du pavillon russe a été cédé à l’État indien du Maharashtra.
Au mois de mai déjà, le site appelé « Russian House » (maison russe) avait été loué par la Fondation de l’homme d’affaires ukrainien déjà et rebaptisé « la maison des crimes de guerre russes » pour y organiser une exposition thématique à ce propos.
BlackRock à la manœuvre
La première à répondre à cet appel de financement a été la société multinationale BlackRock, bien connue de nos lecteurs pour ses liens avec Emmanuel Macron. Ce géant est le plus important gestionnaire d’actifs au monde, avec près de 8000 milliards d’euros. La présidence ukrainienne a déjà mandaté fin 2022, l’entreprise américaine afin de collecter et d’organiser le flux d’investissement vers le pays. Son PDG Larry Flink a expliqué au Forum qu’il fallait « inonder » l’Ukraine de Capital afin qu’elle devienne « un phare pour le reste du monde de la puissance du capitalisme ».
Bien évidemment, vous vous en doutez, ce soutien n’est pas de nature philanthropique, puisque le fond lorgne sur les immenses richesses du pays et notamment sur ses terres agricoles. Mais le point d’orgue de ce rendez-vous du gratin mondialiste, se tenait le jeudi matin, autour d’un petit-déjeuner organisé par la fondation de l’inévitable Pinchuk, animé par le journaliste de CNN Fareed Zakaria. Il y avait là, un des soutiens les plus ardents de la cause de Kiev, l’ancien premier ministre Boris Johnson qui avait déclaré au tout début du conflit : « Le Royaume-Uni est avec vous et sera avec vous jusqu’à la victoire. » Bien entendu l’invité vedette de la rencontre fut l’inévitable chef de la junte de Kiev, Volodymyr Zelenski qui a pu rappeler que l’ « objectif est de désoccuper tous nos territoires », incluant explicitement la Crimée, que la Russie a annexée en 2014. « La Crimée est notre terre, c’est notre territoire, c’est notre mer et nos montagnes. Donnez-nous vos armes et nous récupérerons ce qui nous appartient. »
En fait Davos n’était que le prélude et la répétition de la rencontre qui se tenait, le vendredi 20 janvier, sur la base aérienne américaine de Ramstein, dans le Palatinat, du groupe de contact de l’Otan pour la défense de l’Ukraine. Cette conférence, qui réunissait les 54 pays de l’entente, avait pour enjeu la montée en puissance des livraisons d’armes et la répartition de l’aide en fonction des besoins des Ukrainiens et des possibilités des pays occidentaux. Sur la base américaine, les états-majors des pays alliés de l’Ukraine ont travaillé sur un programme d’aide courant sur toute l’année 2023. Mais la question centrale qui s’est vite imposée à l’ordre du jour de cette rencontre, c’est la livraison de chars lourds de combat notamment des Leopards 2 de fabrication allemande.
La question des chars de combat allemands
L’Angleterre, la première, toujours en pointe, avait annoncé qu’elle allait fournir à l’armée ukrainienne quatorze de ses chars Challenger II. Le nouveau premier ministre britannique, Rishi Sunak, avait fait le déplacement à Kiev le samedi 21 janvier afin d’officialiser cet accord. La Pologne, ainsi que la Finlande étaient impatientes aussi à faire don de leurs chars Léopard II allemands, mais devaient attendre le feu vert de Berlin, producteur de ces chars, pour lancer l’opération. De tous les chars en circulation dans les différentes armées, il est celui qui a été le plus produit, plus de 2000, et le plus vendu en Europe. D’où la pression qui a été exercée sur Olaf Scholz, présent à Davos, pour que l’Allemagne accepte de livrer ses chars.
« Donnez-leur les chars ! Il n’y a absolument rien à perdre », avait insisté Boris Johnson. Déjà l’inévitable Charles Michel, président du Conseil européen, en visite lui aussi à Kiev à la veille de la rencontre de Ramstein, avait annoncé un nouveau paquet de sanctions contre la Russie, le dixième, et déclaré qu’il avait bien entendu le message de Volodymyr Zelensky : « Vous avez besoin de plus de systèmes de défense antiaérienne et d’artillerie, de plus de munitions ». Et il avait souligné bien fort à l’attention de l’Allemagne : « Des chars doivent être livrés ! ».
Lors de la rencontre entre Emmanuel Macron et d’Olaf Sholz lors du 60ème anniversaire du Traité de réconciliation entre les deux pays, tenu le 22 janvier, le président français avait même envisagé l’éventualité de livrer des chars Leclerc, dont l’armée française dispose en peu grand nombre et qui n’est plus produit, dans le but de faire pression sur son homologue d’Outre-Rhin. Mais ces appels comminatoires, n’avaient eu jusqu’alors aucun effet sur le Chancelier allemand.
L’intervention de Bernard Henri Levy
Ces tergiversations avaient eu le don de mettre le belliciste et le belliqueux Bernard Henry Levy dans une colère noire, promettant aux allemands un nouveau tribunal de Nuremberg, une fois la guerre terminée. Celui qui, dans l’urgence, a avancé la sortie de son film « Slava Ukraini » au 22 février, n’est plus certain de la défaite des armées russes qu’il avait proclamée au moment de la contre-offensive de Kiev à Kharkiv et à Kherson, à grand renfort de publicité dans les médias : « C’est un appel à l’action » écrit-il sur twitter. « Contre le défaitisme et toute réticence à aider. Contre tout compromis avec Poutine. Plaidoyer pour que l’Ukraine reçoive tout ce dont il a besoin pour gagner. Canons, chars et même avions. C’est la seule solution pour la paix. » Comme d’habitude avec BHL, c’est Ukraine 1984 : « la guerre, c’est la paix. »
Olaf Scholtz n’était pas prêt à franchir cette nouvelle étape qui constitue une escalade hasardeuse. Les autorités russes avaient averti, à la veille de la rencontre de l’OTAN à Ramstein, que la livraison de chars de combat ainsi que des armes de longues portées qui permettraient à Kiev de frapper le territoire russe en profondeur, entraînerait une aggravation dangereuse du conflit. L’opinion allemande aussi restent très divisée quant à cette éventualité. L’impact psychologique du retour des panzers sur les lieux d’importantes batailles de la Seconde Guerre mondiale, notamment la bataille décisive du chaudron de Tcherkassy pour le contrôle du Dnierp, reste profond pour un pays qui vient de franchir le rubicon du réarmement. Mais la pression était trop forte.
Les troupes ukrainiennes ont un besoin urgent de ces chars, au moment où ses armées sont sur le reculoir sur tous les fronts. La ville de Soledar vient de tomber, sous les coups de butoir des troupes de Wagner, menaçant la ville de Artemovsk (Bakhmout) dans le Donbass. Sans être décisive, la prise de cette ville, que Kiev a décidé de défendre coute que coute, et au prix de pertes humaines très importantes, constituerait un symbole fort.
Seuls comptent les intérêts de l’Oligarchie
Comme toujours avec l’Allemagne, qui reste la place forte des intérêts atlantistes sur le vieux continent, la décision a été prise après une discussion téléphonique entre Joe Biden et le chancelier allemand qui a été prié de s’exécuter. Sous forte pression aussi de ses alliés à l’Est, Berlin a accepté de livrer ces chars, et aussi d’autoriser les occidentaux qui en ont acheté à les livrer à l’armée ukrainienne. En contrepartie, Olaf Sholtz voulait des Etats-Unis un geste qui les engage dans ce qui constitue une nouvelle escalade dans cette guerre. Et concomitamment à cette prise de décision, le président américain a annoncé le même jour la livraison de 31 chars Abrams à l’Ukraine. Ce qu’a salué le président ukrainien dans son allocution quotidienne, réclamant aussitôt aux Occidentaux des missiles de longue portée et des avions de combat.
« La guerre, c’est comme une avalanche », disait Mussolini, « on sait quand elle commence, on ne sait jamais quand elle finit ». Cette maxime s’applique parfaitement à la situation que nous sommes en train de vivre. D’un conflit local, cette « opération spéciale en Ukraine » a dégénéré en guerre par procuration entre les Etats-Unis – via l’Alliance atlantique – et la Russie. Et que cette guerre ne peut pas avoir de vainqueur, puisque la défaite serait la fin d’une des deux nations ou même la promesse d’un désastre général, les deux pays possédant l’arme nucléaire.
Néanmoins toute la politique des Etats Unis et de l’Otan constitue à rester sur une ligne de crête. Il faut, tout à la fois, faire durer la guerre pour affaiblir durablement la Russie récalcitrante ; mettre au pas toute velléité d’indépendance des pays européens, notamment l’Allemagne qui s’était trop compromise économiquement avec la Russie ; faire tourner à plein régime le complexe militaro-industriel yankee. Tout cela sans provoquer trop ouvertement les autorités russes qui renouvellent régulièrement leurs menaces d’utiliser l’arme nucléaire. L’affaire du missile, tombé en Pologne en novembre dernier tuant deux personnes, a démontré que, dans l’immédiat, l’Otan ne veut en aucun cas la confrontation directe, alors que Kiev accusait à tort la Russie. Mais ce jeu-là est bien dangereux et l’équilibre très précaire. Compte-tenu des forces en présence, une seule étincelle pourrait mettre le feu aux poudres.
En attendant cette politique se fait sur le dos de l’Ukraine et des Ukrainiens, utilisés comme chair à canon, avec la complicité des politiciens et des oligarques de la junte de Kiev. Mais peu importe ! Une fois de plus, en Ukraine comme ailleurs, ce sont les peuples qui souffrent, pour les intérêts de l’Oligarchie.