Au Pakistan ne se joue pas que le destin du peuple pakistanais. Le pays est au confluent des zones d’influence de plusieurs géants (la Russie, la Chine, l’Inde, l’Iran…) qui l’entourent. Il peut donc occuper une position de choix stratégique dans la région, autant d’un point de vue géopolitique qu’économique. À tel point qu’un pays veut en faire sa base avancée. Un pays qui se veut mondialement agissant et qui cherche à contrer ou contrarier les projets ou les relations des géants qui menacent son ambition hégémonique : il s’agit bien sûr des États-Unis.
D’autant que le Pakistan dispose de cette arme nucléaire qui permettrait aux Yankees de sacraliser cette base avancée, à condition que le pouvoir y reste entre leurs mains ou leurs reste favorable, pour continuer à y mener leurs sales petites affaires comme partout où ils s’installent.
C’est ce destin de vassalisation aux États-Unis qu’Imran Khan semble vouloir éviter au Pakistan.
Au début de l’année 2022, Imran Khan a perdu le pouvoir au profit de Shehbaz Sharif et le Pakistan est tombé de fait dans l’escarcelle américaine. Le 11 avril Sharif avait été élu Premier ministre par l’Assemblée nationale après le renversement de Khan par une motion de censure. La principale priorité du nouveau gouvernement a été alors de rétablir les liens avec Washington selon le vœu de l’armée pakistanaise qui y tient désespérément.
Mais Imran Khan, avec son parti le Mouvement du Pakistan pour la Justice, dispose d’un large soutien populaire et il ne s’est pas avoué vaincu :
« J’annonce aujourd’hui, la guerre pour notre indépendance commence à partir de maintenant. Je vais être dans la rue avec mon peuple jusqu’à ce que le gouvernement soit obligé d’aller aux prochaines élections générales. Le gouvernement importé est rejeté. (…) Les gens les plus heureux de me voir chassé du pouvoir étaient en Inde et en Israël… »
Imran Khan a été soutenu par de larges manifestations contre le « complot étranger » dont il a été l’objet. Une répression féroce s’est abattue contre lui et ses partisans. Dans la nuit du 23 au 24 mai la police pakistanaise a procédé à une vague d’arrestations massives de cadres de son parti à la veille d’une autre manifestation visant à déterminer le nouveau gouvernement à convoquer des élections anticipées.
Malgré tout, depuis juillet dernier, son parti a remporté de larges victoires lors d’élections partielles et notamment d’élections locales au Pendjab, la province la plus peuplée du pays permettant à l’ancien Premier ministre de persister à réclamer des élections nationales anticipés (les prochaines élections législatives sont prévues pour octobre 2023) contre un pouvoir qui ne représente plus les aspirations pakistanaises.
En réponse, au mois d’octobre, la Commission électorale du Pakistan a interdit à Imran Khan de briguer une fonction élective au sein du gouvernement pendant cinq ans, invoquant des tromperies ou des cadeaux qu’il aurait reçus de dignitaires étrangers pendant son mandat.
La « longue marche » et la tentative d’assassinat d’Imran Khan
Mais la popularité et les soutiens d’Imran Khan n’ont pas faibli entraînant sans doute la tentative d’assassinat à son encontre.
Depuis le 29 octobre il avait pris la tête d’une « longue marche » à travers le pays qui devait le conduire, après 380 kilomètres, jusqu’à la capitale Islamabad le 4 novembre pour réclamer encore et toujours des élections nationales anticipées. Imran Khan juché sur un conteneur placé sur un camion, s’adressait à des dizaines de milliers de ses partisans le rejoignant dans les villes traversées.
Sur son passage, le 3 novembre, près de la ville de Gujranwala (dans la province du Pendjab), des coups de feu qui le visait ont éclaté dans la foule et Imran Khan a été blessé au pied. D’autres personnes situées autour ont été touchées (1 mort et 9 blessés), un assaillant a été tué et un autre a été arrêté par la police.
Imran Khan a dénoncé cette tentative de l’éliminer, l’attribuant au pouvoir craintif de sa popularité maintenue :
« Nous sommes des êtres humains, ne nous traitez pas comme des animaux. Les gens se sont levés, ils n’accepteront pas les voleurs, j’ai vu la nation se réveiller au cours des six derniers mois, vous ne pouvez pas marcher loin de la réalité. Regardez les yeux des gens dans la rue, ils recherchent un Pakistan où ils peuvent vivre en toute liberté, où personne n’est autorisé à opprimer les faibles ».
Depuis, des partisans d’Imran Khan se lèvent dans tout le pays et les troubles pourraient s’intensifier, exacerbées par la situation économique difficile et l’activité accrue des groupes terroristes et séparatistes, conduisant le pays au bord d’une révolte ou d’une guerre civile.
Imran Khan le trouble-fête du jeu américain au Pakistan
Le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, a commis six péchés majeurs que les États-Unis ne peuvent pas pardonner et qui les ont poussés à conspirer pour le renverser et l’empêcher de revenir au pouvoir.
Le premier péché est son refus absolu de rompre les liens du Pakistan avec les talibans afghans, accentuant ainsi la défaite des États-Unis en Afghanistan.
Le deuxième est qu’il a pris le parti de la Chine, rejoint son initiative « Ceinture et Route », et signé avec elle un traité de coopération économique, d’une valeur initiale d’environ 62 milliards de dollars.
Le troisième vient de son soutien à l’opération militaire russe en Ukraine : tout au début de la crise, il s’est rendu à Moscou où il a été chaleureusement accueilli par le président russe Vladimir Poutine !
Le quatrième péché concerne ses relations stratégiques très fortes avec l’Iran pour briser le blocus américain. Il est aussi accusé de l’aider à développer ses programmes nucléaires.
Le cinquième est son soutien absolu à la cause palestinienne, son refus de s’engager dans le processus de normalisation avec l’Entité sioniste et dans les accords de normalisation.
Et le sixième péché vient du fait qu’il a rejeté toutes les demandes américaines d’établir des bases militaires au Pakistan qui partage une frontière commune avec la Chine. Il s’est opposé à la coopération de l’armée et des services de renseignement pakistanais, sous la direction américaine dans la lutte contre les talibans en Afghanistan.
Au vu de ses positions et de son programme, on comprend mieux pourquoi cet homme est l’ennemi numéro un de l’Etat profond oligarchique au Pakistan.
Mais, l’élimination d’Imran Khan a échoué. La bête noire des États-Unis dans le pays n’est pas morte. La partie n’est pas jouée. Imran Khan, fort de ses victoires électorales et de son large soutien populaire ne compte pas demeurer à l’écart du pouvoir suite aux actions du « quasi-usurpateur » en place Shahbaz Sharif.