L’afrocentrisme – ou l’affirmation selon laquelle les Africains (subsahariens) ont joué un rôle central dans la création de la civilisation telle que nous la connaissons (à la fois historiquement et même encore de nos jours) – est l’une de ces lubies d’intellectuels farfelus que personne n’ose attaquer de front par peur du politiquement correct. (1)
Quoi qu’on puisse penser de cette théorie, une chose au moins est sûre, l’afrocentrisme n’a pas été promu et généralisé par des Africains, mais, essentiellement, par certains juifs. Leur influence se marque dès les tous débuts de l’afrocentrisme avec la création de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), à l’origine de laquelle on trouve, entre autres, et plus particulièrement, Henry Moscowitz. Des Juifs figurent également aux rangs des principaux donateurs de la NAACP. (2)
Déjà à l’époque, quelqu’un comme W.E.B. Du Bois, un Afro-Américain, avait commencé à jeter les bases d’une vision afrocentrique de l’histoire, elle-même fortement inspirée des controverses entre les égyptologues britanniques Flinders Petrie et Wallis Budge (le premier défendant une origine européenne de la civilisation égyptienne, le second, une origine « afro-asiatique »).
C’est à peu près à cette époque que des premiers éléments d’influence franc-maçonnique sont apparus dans l’afrocentrisme, en particulier avec l’idée qui commençait à se répandre d’une « dette grecque » à l’égard de l’Égypte (dérivée de considérations pseudo-historiques de la franc-maçonnerie sur ses origines « égyptiennes »), (3) qui trouvait sa première expression complète dans l’« héritage volé » de George James. (4)
C’était aussi l’époque de la montée en puissance d’une filière juive dans l’anthropologie créée par Franz Boas, et qui depuis tourne à plein régime sur les campus américains : (5) Melville Herskowits en faisait partie. (6) Son nom n’évoquera plus grand-chose aujourd’hui en dehors des cercles anthropologiques, mais c’est lui qui a joué un rôle-clé en fournissant le cadre intellectuel et les « preuves » de l’afrocentrisme soulignant l’importance des « civilisations » africaines et dénigrant la civilisation européenne. (7)
Sans Herskowits – et ses compagnons de route de la filière boasienne – il est peu probable que l’afrocentrisme ait jamais pu réussir à prendre son essor au point de devenir le fantasme préféré d’un petit groupe d’intellectuels suprémacistes noirs, fantasme qu’ils cultivent encore dans leurs publications prétendument « évaluées par les pairs ». (8)
Cependant, l’apport d’Herskowits n’est encore rien comparée aux audaces de Martin Bernal. Bernal – souvent considéré à tort comme noir par les lecteurs de ses ouvrages – est l’auteur de la tristement célèbre série en trois volumes « Black Athena », l’Athènes Noire, dans laquelle il prétend « démystifier » les arguments « eurocentrés » de l’ensemble des spécialistes avant lui de l’Égypte, de la Grèce et, dans une certaine mesure, de Rome.
Dans la préface du premier volume, Bernal nous informe de ce que son judaïsme est central dans la rédaction de l’Athènes Noire parce que, sensible à « l’antisémitisme atavique » qui avait débouché sur « l’Holocauste » et les lois de Nuremberg, il lui avait semblé urgent de s’attaquer à la « vision aryenne » de l’histoire. (9)
Et c’est ainsi qu’il défendait l’idée selon laquelle ceux auxquels il s’attaquait dans son Athènes Noire – les spécialistes de l’Antiquité (10) tout autant que les Grecs eux-mêmes – (11) étaient intrinsèquement racistes et antisémites. Pour Bernal, conformément aux vues de Wallis Budge que Du Bois avait défendues, les Égyptiens de l’Antiquité étaient un peuple sémite noir. Comme pour Du Bois et Budge, son but était de « réparer une injustice envers une minorité » tout en forgeant une machine de guerre intellectuelle contre les oppresseurs européens (12) qu’il ne se gênait pas de qualifié de « proto-nazis ». (13)
Comme Boas et Herskowits, Bernal était un marxiste du plus pur style « front de libération populaire », mais tout comme son père, John Desmond Bernal qui, contrairement à de nombreux marxistes invétérés, avait fini par s’excuser platement d’avoir soutenu Staline, Martin Bernal avait fini par renoncer au maoïsme devant les excès de la révolution culturelle.
Il prenait ainsi à son tour le virage du marxisme gramscien qui a donné naissance à ce qu’on a appelé « l’eurocommunisme » (une relecture de Marx « philosophe de la libération » issue de penseurs comme Louis Althusser), (14) qui soutenait que la classe révolutionnaire n’était pas les ouvriers (comme le pensaient Marx, Lénine et Trotsky), ni les paysans (comme le pensaient Castro, Guevara et Mao) mais plutôt les étudiants et les mouvements de « libération – émancipation » (par exemple les homosexuels, les noirs, les féministes et ainsi de suite).
Le « cœur de métier » des eurocommunistes encore aujourd’hui est de s’en prendre à – de déconstruire – la vision de l’histoire telle qu’élaborée par ceux qu’ils appellent des « réactionnaires » ou des « contre-révolutionnaires » (le protestant blanc anglo-saxon [ou WASP] étant bien sûr la cible par excellence). (15)
C’était là toute la raison d’être de Bernal, celle qui justifiait sa réécriture du « mythe de l’origine » de la civilisation occidentale : ce n’était pas les Juifs ni les diverses minorités raciales qui étaient les barbares civilisés à grand-peine par l’Occident, c’était au contraire les Européens, en réalité guère plus que des sauvages, qui avaient spolié ces minorités de leur héritage.
Construire une telle théorie de but en blanc n’est évidemment pas chose aisée, mais Bernal n’est pas parti de zéro. Il pouvait s’inspirer des divagations de W.E.B. Du Bois, de Marcus Garvey et de George James (d’où sa défense – qui resterait autrement incompréhensible – des traditions franc-maçonniques, kabbalistiques et hermétiques comme étant prétendument « historiques »). (16) Il ne lui restait plus qu’à les replacer sous la rubrique d’anthropologie radicale dite de la « souffrance et de l’exploitation des Noirs » par les Européens (développée par Boas et Herskowits, entre autres), puis d’étoffer le tout à l’aide de toutes les preuves auxquelles lui donnaient accès sa formation universitaire et son ingéniosité. (17)
Bernal se dotait ainsi de l’outil puissant qu’il recherchait pour discréditer les récits historiques « coloniaux » et « impérialistes » européens qui, selon lui, trouvaient leur origine dans l’étude de l’Antiquité classique et alimentaient cette vision du monde « eurocentrée » intrinsèquement raciste (et responsable, à ses yeux, de l’avènement du Troisième Reich et de l’« Holocauste »). (18)
Cette instrumentalisation de l’afrocentrisme pour stigmatiser, rabaisser et déshumaniser les Européens visait du même coup à légitimer et à institutionnaliser la « souffrance noire » comme fait historique. (19) Le parallèle avec la souffrance des Juifs et l’histoire de l’Holocauste est flagrant. (20)
Que l’afrocentrisme ne soit rien de plus qu’une arme ad hoc est assez indiqué par la méthodologie pour le moins sommaire de Bernal (21) et par les attaques aussi fanatiques qu’inconsistantes qu’il porte contre ses adversaires. (22) C’est un modèle cousu main pour tous ceux qui s’estiment opprimés par les blancs. (23)
Karl Radl
Traduction : Francis Goumain
Source : Martin Bernal and Melville Herskowits: The Jews Who Created Afrocentrism (renegadetribune.com)
Notes :
(1) For examples see Mary Lefkowitz, 1997, ‘Not Out of Africa: How Afrocentrism Became an Excuse to Teach Myth as History’, 2nd Edition, Basic Books: New York, pp. 182-183
(2) http://rac.org/Articles/index.cfm?id=21347
(3) Lefkowitz, ‘Not Out of Africa’, Op. Cit., p. 10
(4) Ibid., p. 134
(5) On Boas’ political agenda see Gary Bullert, 2009, ‘Franz Boas as Citizen-Scientist: Gramscian-Marxist Influence on American Anthropology’, Vol. 34, No. 2, pp. 208-243; as to his being a crank see Roger Pearson, 1997, ‘Race, Intelligence and Bias in Academe’, 2nd Edition, Scott-Townsend: Washington D.C., pp. 106-107
(6) Ibid., p. 107; Kevin MacDonald, 2002, ‘The Culture of Critique: An Evolutionary Analysis of Jewish Involvement in Twentieth-Century Intellectual and Political Movements’, 2nd Edition, 1st Books: Long Beach, p. 25
(7) http://www.nathanielturner.com/twoscholarsdiscussafrocentrism.htm
(8) See: https://karlradl14.substack.com/p/ex-nihilo-nihil-fit-the-consequence
(9) Emily Vermeule, 1996, ‘The World Turned Upside Down’, p. 269 in Mary Lefkowitz, Guy MacLean Rogers (Eds.), 1996, ‘Black Athena Revisited’, 1st Edition, The University of North Carolina Press: Chapel Hill
(10) Ibid.
(11) Ibid., p. 272
(12) John Coleman, 1996, ‘Did Egypt Shape the Glory that was Greece?’, p. 280 in Lefkowitz, MacLean Rogers, Op. Cit.
(13) Robert Norton, 1996, ‘The Tyranny of Germany over Greece?’, p. 404 in Lefkowitz, MacLean Rogers, Op. Cit.
(14) Louis Althusser, 1993, ‘The Future Lasts Forever: A Memoir’, 1st Edition, The New Press: New York, pp. xiii-xvii ; on Althusser’s relationship with the jews please see my article: https://karlradl14.substack.com/p/louis-althussers-jewish-problem
(15) Thomas Schmitz, 1999, ‘Ex Africa Lux?: Black Athena and the debate about Afrocentrism in the US’, Gottinger Forum fur Altertumswissenschaft, Vol. 2. pp. 38-40
(16) Ibid., pp. 22-23
(17) This is clearly indicated by the lack of sustained critique that Bernal offers his opponents and rather than argue his views: he simply makes up arguments and lies about the work of his opponents. For example see: http://bmcr.brynmawr.edu/1996/96.04.19.html
(18) That this is utter drivel is easily understood by reading say Ian Shaw (Ed.), 2003, ‘The Oxford History of Ancient Egypt’, 2nd Edition, Oxford University Press: New York
(19) Clarence Walker, 2001, ‘We Can’t Go Home Again: An Argument about Afrocentrism’, 1st Edition, Oxford University Press: New York, p. 117
(20) Ibid., p. 121
(21) Schmitz, Op. Cit., pp. 25-28
(22) Ibid., pp. 29-30
(23) Ibid., pp. 47-53
En parlant de Melville, on a le notre:
Jean-Pierre Grumbach, dit Jean-Pierre Melville, né le 20 octobre 1917 dans le 9e arrondissement de Paris et mort le 2 août 1973 dans le 13e arrondissement de Paris, est un réalisateur et scénariste français.
Jean-Pierre Grumbach naît dans une famille juive alsacienne. Abraham, son arrière-grand-père (Wittenheim 1812-Belfort 1879), puis son grand-père Jacques (Belfort 1841-1899), tiennent une boucherie à Belfort.
Mais enfin, on lui doit quand même le Cercle Rouge, qui certes, ne vaudrait rien sans Bourvil, Delon, sans la France des années 60.
Quant à Philippe Grumbach, c’est un espion en France du KGB.
Très intéressant. J’ignorais tout des inventeurs du panafricanisme ( en fait, il y a différents panafricanismes qui ne sont pas de même nature et n’ont pas les mêmes buts). Je suis contre tout supremacisme, qu’il soit Noir, Blanc ou Arabe, ceci dit, on ne peut nier l’existence dans le passé, d’Empires Africains et les méfaits de la colonisation, à laquelle tous les Blancs ne peuvent être associés. Et concernant l’esclavage dont furent victimes des populations africaines. Elle est le fait de compagnies portugaises. Les noms des navires ayant participé à la traite négrière ne peut que nous éclairer sur ces périodes de l’histoire. Et concernant l’esclavage, sous ses formes les plus brutales et apparentes,, ont certes disparu, mais ont donné naissance à la multiplication d’autres formes plus insidieuses d’exploitation humaine, dont nous sommes tous les victimes, mais plus particulièrement les Occidentaux, revers de l’histoire. Le salariat, la consommation, les crédits… sont les formes de notre esclave » moderne ». Et toute velléité de liberté est traquée ou empêchée par la loi et la répression.
Il me semble que le plus éclairant, ce n’est pas le nom des navires, mais celui des armateurs. Si on cherche bien, on trouve le nom d’un ancien homme politique très ami avec Gaston DEFERRE. Dans les Antilles, la sur représentation d’une certaine communauté dans la traite négrière, c’est un secret de polichinelle !
Bonjour,
Oui, effectivement, bien vu. Merci beaucoup.
‘Intellectuels farfelus » ça c’est de l’euphémisme, ou je ne m’y connais pas.
La vraie civilisation, c’est le retour critique, la re-présentation.
Les Grecs ont été les premiers à se rendre compte qu’ils étaient dans un monde, un Kosmos, et à s’interroger sur leur pouvoir de connaître ce monde (et eux-mêmes).
Et attention à l’utilisation du mot « monde » dans la Genèse, non, Dieu n’a pas créé le « Monde » en six jours, tout simplement parce que ce mot, et ce concept n’existaient pas à l’époque.
C’est pourquoi les rédacteurs de la Genèse procèdent par énumération, « le premier jour, il a créé ceci » « le deuxième jour, cela », les mathématiciens diraient aujourd’hui qu’ils donnaient le monde en extension, en énumérant ces éléments principaux, et non en compréhension: les Juifs ne disaient pas « le monde ».