À partir de l’été 1935, le gouvernement national-socialiste du IIIe Reich allemand a commencé à exploiter un programme d’échange d’étudiants entre les principales écoles américaines et allemandes.
L’International Schoolboy Fellowship, comme on l’appelait, a été créée en 1927 par Walter Huston Lillard, le directeur de la Tabor Academy dans le Massachusetts, pour favoriser de meilleures relations entre toutes les nations grâce à l’échange d’écoliers. Les pays participants comprenaient les États-Unis, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne.
Lillard était persuadé que «les malentendus et les différends entre les nations sont souvent la résultante d’appréciations faussées par l’éloignement» et que «le développement de contacts… serait de nature à promouvoir des relations cordiales et des amitiés durables».
En 1935, les responsables des nouvelles écoles d’élite du Troisième Reich, les instituts nationaux d’éducation politique, ou Napolas, ont décidé de s’approprier ce programme d’échange pour promouvoir les objectifs nationaux-socialistes.
Les Napolas s’inspiraient des meilleures écoles britanniques, du corps des cadets prussiens et de l’ancienne Sparte. Elles formaient les garçons âgés de 10 à 19 ans destinés à devenir les futurs cadres et chefs de l’Allemagne.
Le 12 février 1935, Lillard et l’International Schoolboy Fellowship furent informés par les autorités de Napola qu’ils échangeraient 10 élèves américains contre 10 élèves de Napola de juillet à décembre 1935.
Comme j’en parle dans mon nouveau livre, The Third Reich’s Elite Schools – A History of the Napolas, les organisateurs côté américain de l’échange ne se doutaient pas que les élèves et le personnel allemands étaient expressément chargés d’une mission de propagande: contrecarrer et neutraliser l’effet des reportages antinazis dans les médias américains et influer favorablement l’opinion publique au sujet du Troisième Reich.
En 1938, on comptait 18 écoles préparatoires américaines impliquées dans les échanges avec la Napola.
Briser le boycott olympique
Reinhard Pfundtner, alors âgé de 17 ans, fils d’un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur du Troisième Reich, a été l’un des premiers sélectionnés pour le programme d’échange. Sa participation au plus haut niveau a pleinement contribué au succès de cette campagne de propagande pro-nazie.
Secrétaire d’État du ministère de l’Intérieur du Troisième Reich, le père de Reinhard, Hans Pfundtner, a été l’un des principaux architectes des lois de Nuremberg qui reléguaient les Juifs et les Tsiganes au rang de citoyens de seconde zone. […] C’était également un membre du Comité olympique et il entendait bien profiter de l’échange pour convaincre Lillard, qui accueillait son fils, de faire pression en faveur de la participation des États-Unis aux prochains Jeux olympiques d’hiver de 1936 en Allemagne.
La correspondance échangée entre Hans Pfundtner et Lillard, conservée aux Archives fédérales allemandes, montre que le directeur de l’Académie Tabor se laissait totalement influencer par les Pfundtner et croyait à leur amitié désintéressée.
Dans une lettre datée du 23 novembre 1935, Lillard assurait à Pfundtner que son «courrier répondant à des questions sur les Jeux Olympiques avait fait très bonne impression et avait été cité par plusieurs de nos bons journaux et diffusé dans tout le pays par l’Associated Press … Votre message devrait contribuer à contrecarrer en partie la fausse propagande».
Des espoirs de paix déçus
À partir 1935, de nombreuses écoles préparatoires américaines de premier plan ont participé chaque année au programme d’échange de Napola, notamment la Phillips Academy Andover dans le Massachusetts et la Phillips Academy Exeter dans le New Hampshire, St.Andrew’s dans le Delaware, Choate et la Loomis School dans le Connecticut et la Lawrenceville School dans le New Jersey. Entre 1936 et 1938, une quinzaine d’élèves américains passaient les 10 mois de leur année scolaire dans les écoles d’élite nazies, tandis qu’une trentaine d’élèves de la Napola restaient cinq mois dans les écoles américaines.
Même après la Nuit de Cristal en novembre 1938, au cours de laquelle quelque 7 000 commerces ont été saccagés et 250 synagogues détruites, Lillard continuait encore de pousser les directeurs des écoles préparatoires qui faisaient partie de l’échange Napola-ISF à poursuivre le programme sur l’année universitaire 1939-40.
Dans le courrier qu’il leur adressait suite à cet événement, Lillard disait : «Si nous poursuivons les échanges scolaires, il peut en sortir quelque chose de constructif, tandis que si nous abandonnons tout effort en direction de l’Allemagne, nous nous fermons la possibilité d’avoir de futurs dirigeants mieux éclairés…».
Malgré la nature controversée du programme d’échange, la plupart des écoles dont j’ai consulté les archives pour mon livre, se sont montrées très coopératives et curieuses d’en savoir plus sur les liens insoupçonnés de leurs établissements avec le Troisième Reich.
Cheval de Troie de la propagande
Par le biais de ces échanges, le programme Napola semble avoir réussi à convaincre ses partenaires américains d’accorder au régime nazi le bénéfice du doute, au moins sur le court terme. […]
D’après les comptes rendus des brochures scolaires qui nous sont parvenus, les élèves de Napola ont souvent réussi à convaincre leurs hôtes américains que les événements en Allemagne n’étaient pas aussi graves que les articles de presse pourraient le faire croire. Ils ont souvent eu l’occasion de présenter leurs propres opinions politiques, oralement et par écrit.
Par exemple, un des étudiants accueilli à l’Académie Tabor, Wolfgang Korten, écrivait dans The Tabor Log en juin 1939 : «J’ai été heureux, en tant qu’Allemand, de pouvoir parler de mon pays aux Américains et de leur donner un aperçu différent de celui que leur en donne leur presse». Il soulignait également que rejeter totalement le «fascisme» et le «nazisme» au nom de la «démocratie» était une erreur.
Les bulletins d’informations des deux côtés montrent également que les élèves américains étaient souvent enchantés de le leur séjour dans la «nouvelle Allemagne» et qu’ils pouvaient facilement se gagner aux idées politiques de leurs hôtes.
L’un d’eux, qui avait fréquenté la Napola à Plön, écrivait en 1938 que l’année qu’il y avait passée était la «plus grande expérience» de sa vie. Un autre a même été surpris par ses camarades de la Napola à pratiquer le salut hitlérien devant son miroir. De nombreux membres du personnel et étudiants des académies américaines sont restés en contact avec leurs écoles partenaires allemandes même après le déclenchement de la guerre en 1939. […]
Professeur agrégé d’histoire culturelle européenne moderne, Université de Durham
Traduction : Francis Goumain
Source : US prep schools held student exchanges with elite Nazi academies (theconversation.com)
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