Le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas condamné les référendums d’auto-détermination et les actes d’unification du Donbass, de Kherson et de Zaporijia le 30 septembre. La Russie a bien évidemment opposé son véto à la résolution proposée par les États-Unis et l’Albanie. Il est à noter que si la résolution a recueilli 10 voix en sa faveur, 4 pays se sont abstenus : la Chine, l’Inde, le Brésil et le Gabon. C’est-à-dire, pour les 3 premiers, des pays appartenant au « BRICS », ce groupe de 5 pays (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui se réunissent régulièrement en sommet depuis 2011 et auxquels l’Iran et l’Argentine viennent de demander leur intégration.
Depuis quelques jours, le camp occidental tentait de faire croire que la mobilisation et l’unification des anciennes provinces ukrainiennes du Donbass, de Kherson et de Zaporijia à la Russie auraient retourné ou fragilisé la position indienne et chinoise de non-alignement (interprétée comme un soutien implicite à la Russie). Il se fondait sur des déclarations – pas vraiment officielle – des autorités de ces pays. Le Premier ministre indien aurait ainsi affirmé lors du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS), que « l’heure n’était pas à la guerre ». Quant à Pékin, ses représentants auraient appelé au « dialogue » et au « cessez-le-feu ».
Le non-alignement des BRICS
Pourtant, en pratique, ce 30 septembre, la Chine, l’Inde, le Brésil, se sont donc abstenus poursuivant leur politique de non-alignement. Comme en février 2022, lorsque la Chine et l’Inde (et les Emirats arabes unis) s’étaient abstenus également lors du suffrage concernant le projet de résolution (présenté encore une fois par les Etats-Unis et l’Albanie) condamnant « l’agression russe ». Résolution qui n’avait pas non plus été adoptée.
Contrairement à ce qui est parfois affirmé, l’Inde ne perd pas patience à l’égard de son allié russe et ce n’est pas parce que la Chine fait de la diplomatie que la Russie est isolée.
En réalité, la Russie et la Chine (mais ça peut être l’Inde ou le Brésil) sont « alignées », mais non « alliées ». Cette nuance est peut-être difficile à saisir en Europe – ou délibérément mésinterprétée – mais elle doit être bien comprise comme le refus d’une logique de « bloc » dont l’archétype en est le bloc occidental ou atlantiste que son noyau dirigeant considère comme devant être le plus uniforme possible (euphémisme) et qui doit aller dans une seule direction.
La logique punitive du bloc atlantiste
Dans l’UE ou dans l’OTAN, tous les membres doivent suivre, le petit doigt sur la couture, une politique globale commune qui confine à la tyrannie du plus fort (les États-Unis) et à la soumission des moins puissants (les pays de l’Union européenne). Et gare à ceux qui font mine de s’écarter de la feuille de route décidée à Washington et dans les cercles atlanto-mondialistes !
Le cas de la Hongrie
Comme la Hongrie qui est systématiquement menacée et sanctionnée par les institutions bruxelloises parce qu’elle refuse le jusqu’au-boutisme européiste contre la Russie et parce qu’elle rechigne à adopter des sanctions suicidaires pour le pays et pour son peuple en matière énergétique.
Le cas de l’Italie
On a même entendu, il y a quelques jours, Von der Leyen menacer « préventivement » le peuple italien s’ils se risquait à porter au Parlement et au Conseil des ministres une coalition et un chef ayant des velléités de ne pas s’aligner sur la position de Bruxelles de soutien fanatique à l’Ukraine de Zelensky :
« Si les choses vont dans une direction difficile, j’ai parlé de la Hongrie et de la Pologne, nous avons des instruments », a mis en garde la présidente de la Commission européenne en réponse à une question sur les élections en Italie.
Le cas turc
Le cas turc est à cet égard intéressant. La Turquie n’appartient pas aux BRICS et, bien au contraire, elle est membre de l’Alliance atlantique. Mais depuis le début de l’opération en Ukraine, elle refuse d’entrer dans le jeu occidental unilatéral de russophobie fanatique en coupant toute relation avec la Russie. Elle profite même de la situation pour avancer ses pions et se refaire une réputation sur la scène internationale en accueillant sur son sol les négociations (rompues depuis) entre Russes et Ukrainiens, en jouant les intermédiaires pour la reprise des exportations ukrainiennes et russes de céréales par la mer Noire, ou en accueillant des Ukrainiens capturés par Russes au terme d’échanges de prisonniers.
De même, jusqu’à présent, les banques turques s’étaient connectées au système de paiement alternatif russe MIR (permettant à de nombreux touristes russes de continuer leurs villégiatures en Turquie). Mais, le 28 septembre, un haut responsable turc a fait savoir que les trois banques publiques turques (Halkbank, Ziraat et Vakifbank) allaient renoncer au système russe de paiement Mir après des mises en garde américaines. Deux des plus grandes banques privées du pays, Denizbank et Isbank, avaient déjà annoncé la semaine dernière qu’elles suspendaient leur utilisation du système. Malgré tout, en Turquie, on parle de créer une nouvelle banque, qui ne serait pas exposée à des sanctions américaines, et qui continuerait à être reliée à MIR.
On le voit, la Turquie tente de demeurer une passerelle entre la Russie et le monde occidental mais ce jeu pourra-t-il durer longtemps ? Erdogan a déjà l’expérience de ses relations tumultueuses avec les uns et l’autre dans l’affaire syrienne, il a compris aussi que l’OTAN est d’abord un « club occidental » et il se souvient de la tentative de putsch contre lui en 2016 téléguidée, ou en tout cas pas découragée, depuis outre-Atlantique.
Le cas serbe
La Serbie n’est ni membre des BRICS ni de l’OTAN et une fraction très importante de la population se considère comme un allié traditionnel de la Russie (autant sans doute par solidarité slavo-orthodoxe que par haine de l’OTAN qui l’a bombardé pour en arracher le Kosovo), mais dont le gouvernement essaie d’extirper son adhésion à l’Union européenne.
Les autorités serbes sont soumises à d’intenses pressions, et même chantage du camp occidental (avec la menace de reconnaissance internationale d’indépendance du Kosovo ou de repousser aux calendes grecques son adhésion à l’UE) pour condamner la Russie et adopter les sanctions occidentales.
L’appartenance au bloc occidental, ou même l’isolement au milieu de pays appartenant à ce bloc, maintient ces pays sous menace de la « diplomatie » américaine punitive à base de sanctions économiques, de révolution colorée, voire de coup d’État ou de guerre. Hongrie, Serbie, Turquie pourront-elles tenir longtemps sur cette ligne de crête sans préjudice ?
La multipolarité
C’est à l’inverse de cette logique de bloc que le non-alignement présente l’intérêt de préserver les souverainetés, les héritages historiques et la liberté pour un pays d’exercer ses choix selon ses intérêts propres et tels qu’il les conçoit.
L’Inde ou la Chine n’ont donc pas changé leur politique avec la Russie et le premier socle du principe des BRICS, le non-alignement, continue à fonctionner. L’Inde, le Brésil ou la Chine saisissent les opportunités offertes en général par les relations internationales et en particulier par le conflit ukrainien mais ne s’imposent pas une politique commune et demeurent souverains. Ces pays réagissent en approuvant ou regrettant aussi bien les gestes du bloc atlantiste ou de l’Ukraine que ceux de la Russie au sein de la communauté internationale mais ne comptent pas s’immiscer ouvertement dans ce conflit, pas plus d’un côté que de l’autre.
C’est le principe de base de la politique de non-alignement prônée par les BRICS qui n’est pas une politique commune.
Ce qui semble bien s’inscrire jusqu’à présent en conformité avec l’analyse et le souhait russes formalisés par Vladimir Poutine et son ministre des Affaires Etrangères qui plaident régulièrement pour le retour des souverainetés, et promeuvent l’émergence d’un monde multipolaire.