Le jour de la Saint-Patrick, le 17 mars 1902, à Oldcastle dans le comté de Meath, les membres du Connradh na Gaeilge fondent la revue Sinn Féin : the Oldcastle Monthly Review.
À ses débuts, le Sinn Féin est une communauté d’individus ayant des idées proches se cristallisant autour de la propagande d’Arthur Griffith, un imprimeur nationaliste, et de William Rooney, un employé de bureau républicain, lesquels étaient très actifs dans les clubs nationalistes de Dublin.
Dans ses écrits, Griffith déclare que l’Acte d’Union entre la Grande-Bretagne et l’Irlande de 1800 est illégal et que par conséquent la double-monarchie établie sous le Parlement Grattan et la Constitution de 1782 sont toujours en vigueur.
Et c’est en 1905 que le parti Sinn Féin (Sinn Féin signifie « Nous-mêmes » en Irlandais) est fondé à l’occasion de la première convention du Conseil national qui se tient à Dublin, le 28 novembre.
Le Sinn Fein a été la vitrine politique de l’IRA – Armée républicaine irlandaise provisoire.
Lorsque le nationalisme irlandais penchait à droite
Avec la victoire électorale du Sinn Fein en Irlande du Nord, c’est toute l’histoire d’un conflit désormais oublié qui est revenue sur le devant de l’actualité. Nous sommes nombreux à être admiratifs de la lutte de libération nationale conduite par l’IRA depuis plus de cent ans.
De la vieille IRA, héritière de l’insurrection de la Pâque 1916, aux militants cagoulés de l’IRA-Provisoire, la geste de ces combattants a durablement marqué les esprits. Seul bémol à notre enthousiasme : le caractère marxiste ou marxisant de l’organisation paramilitaire irlandaise. Et pourtant, pendant près de 20 ans, l’IRA fut une organisation traditionaliste et national-catholique, non dénuée de certains penchants fascistes ou fascisants. Retour sur une période oubliée (occultée ?) de l’histoire du nationalisme irlandais.
LA CAMPAGNE D’ANGLETERRE
Après la Guerre civile irlandaise (1922-1923), l’IRA, amoindrie, se lance dans une lutte solitaire et clandestine contre la partition de l’Irlande tandis que le Sinn Fein, refusant de reconnaître l’État libre, finit par renoncer à se présenter aux élections en pratiquant l’abstentionnisme révolutionnaire. Cette inactivité électorale du Sinn Fein, opposée à l’activisme militaire de l’IRA, entraîne une séparation formelle des deux organisations qui s’éloignent l’une de l’autre. Après des années d’errances stratégiques et politique, le Conseil militaire de l’IRA (IRA Army Council) désigne Seán Russell1, en avril 1938, comme chef d’état-major de l’organisation armée. Le vote, notamment, des officiers issus des brigades nord-irlandaises de l’IRA, considérées comme les plus radicales et intransigeantes, a été déterminant. La priorité politique du nouveau commandant de l’IRA consiste à revendiquer la filiation de la République d’Irlande. À sa demande, sept anciens membres et dirigeants du Second Dáil transmettent leur légitimité à l’IRA, faisant de fait, de l’organisation militaire, le gouvernement républicain de jure, non reconnu évidemment, de l’Irlande2. Seán Russell fait alors adopter par le Conseil militaire de l’IRA un plan d’attaque dit « Plan S » connu aussi sous le nom de « campagne d’Angleterre ». Le 12 janvier 1939, l’IRA, considérant désormais qu’elle est la seule autorité républicaine légitime d’Irlande, adresse un ultimatum au Royaume-Uni, suivi, trois jours plus tard d’une déclaration de guerre. Dès le lendemain 16 janvier, cinq bombes éclatent à Londres, prémisses d’une campagne de plus de 300 attentats qui va durer jusqu’en mars 19403. À l’occasion de cette campagne, les effectifs de l’organisation nationaliste se sont considérablement renforcés, passant de 2 000 hommes, en 1938, à 7 500 combattants clandestins et 15 000 sympathisants actifs4. Pour cette campagne, l’IRA est aidée, sur le plan matériel et financier par les services de renseignement allemands, l’Abwehr. Les Allemands, qui s’étaient déjà signalés durant la Première Guerre mondiale par leur intérêt pour les nationalistes irlandais, ont en effet repris contact avec eux dès 1937. Mais c’est l’année suivante, avec Seán Russell, que la coopération entre dans une phase active.
UN SOUTIEN CIRCONSTANCIEL AU REICH
Pour autant, même si Russell est probablement le chef d’état-major le plus « à droite » qu’ait connu l’IRA, il est abusif de voir en lui un nazi ou un fasciste. « Je ne suis pas un nazi, déclare-t-il ainsi. Je ne suis même pas pro-allemand. Je suis un Irlandais qui lutte pour l’indépendance de l’Irlande. (…) si cela fait l’affaire de l’Allemagne et nous aider à obtenir l’indépendance, je suis prêt à l’accepter, mais pas plus, et il ne doit y avoir aucune condition attachée. » Début août 1940, il ajoute, dans une lettre ouverte publiée par la direction de l’IRA, que « si les forces allemandes devaient atterrir en Irlande, elles atterriraient comme amies et libératrices du peuple irlandais ». Il précise que l’Allemagne ne veut ni « annexion territoriale ni contrepartie économique mais souhaite simplement que l’Irlande joue son rôle dans la reconstruction d’une Europe libre et progressiste ». Il conclut en saluant le IIIe Reich « force et énergie de la politique européenne, et gardien de la liberté nationale ». Ces opinions sont très majoritairement partagées par la population irlandaise. Le journaliste George Douglas, à l’époque adolescent à (London)Derry, souligne la « jubilation à peine voilée » des habitants des quartiers catholiques à l’annonce des premières défaites des Alliés, tandis que chaque victoire d’Hitler provoque des scènes de joie dans le quartier catholique et nationaliste des Falls de Belfast-Ouest. Les supporters catholiques et nationalistes du Belfast Celtic Football Club vont même jusqu’à provoquer ceux, protestants et unionistes, du Linfield FC, en les saluant bras tendu. Le sud n’est pas épargné par cette vague où se mêle nationalisme et progermanisme. Eamon de Valera, chef du gouvernement irlandais légal, admet lui-même, en juillet 1940, que « le peuple est largement pro-allemand », propos confirmés par un journaliste du Yorkshire Post, en reportage à Dublin, « stupéfait de découvrir qu’une large partie de la population est fermement pro-allemande, saluant joyeusement l’annonce des victoires nazies ». Tout aussi désappointé, il note que « les murs et les palissades (de Dublin) sont recouverts de croix gammées et de slogans antibritanniques ».
TONY MAGAN
La Seconde Guerre mondiale laisse l’IRA épuisée6. Elle annonce, dans l’indifférence générale, un cesser le feu unilatéral le 10 mars 19457. L’organisation demeure, dans l’immédiat après-guerre, sur les positions conservatrices et corporatistes qu’elle avait adoptée sous l’impulsion de Seán Russell. En septembre 1949, le Conseil militaire de l’IRA désigne Tony Magan comme nouveau Chef d’État-major. Né en 1910, cet agriculteur a participé à la campagne des années 1939-1940 contre les Britanniques, étant, semble-t-il, directement impliqué dans les attaques à la bombe contre le métro de Londres. Interné durant la guerre, puis à nouveau durant l’année 1946, il est conscient de la nécessité pour l’IRA de réinvestir le champ politique. Après avoir vendu l’exploitation familiale et remis l’intégralité de la somme au Conseil militaire, il donne l’ordre de réinvestir les rangs, eux-aussi très clairsemés, du Sinn Fein. C’est ainsi que dès 1950, le président du Conseil militaire de l’IRA, Paddy J. McLogan, prend la présidence du Sinn Fein.
Il sera remplacé en 1952 par Tomás Ó Dubhghaill, ancien adjudant-général de l’organisation armée, mais aussi ancien membre des Ailtirí na Haiséirghe (Architectes de la Renaissance), un mouvement fasciste créé en 1942 et actif jusqu’en 1945. Cette étape est doublement importante, car elle marque d’une part le rapprochement définitif entre Sinn Fein et IRA, et d’autre part elle assure la domination de l’appareil militaire sur l’appareil politique, situation qui perdurera, peu ou prou, jusqu’aux accords du Vendredi Saint de 1998. Avec Tony Magan, le Sinn Fein n’est pas un parti qui dispose d’une branche militaire, c’est bien une armée clandestine qui contrôle une façade politique. Magan en profite aussi pour « nettoyer » le Sinn Fein. Catholique fervent, traditionaliste8, il entend écarter des postes de commandement de la mouvance nationaliste tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à un communiste, déclarant qu’il veut créer une « nouvelle armée, composée de volontaires uniquement dédiés à réunifier l’Irlande par la force, sans la souillure du communisme ». Très proche d’une partie du clergé, Tony Magan s’appuie sur l’église catholique. Une partie de la logistique de l’IRA (courriers, transport de colis), et de son service de renseignement, est ainsi assurée à l’époque par les pieux laïcs de la Légion de Marie9. Sous son impulsion, le Sinn Fein sort enfin de sa torpeur abstentionniste, enregistrant quelques beaux succès en Ulster (2 députés) comme en République d’Irlande (4 députés).
En outre, en 1956, l’IRA lance une nouvelle campagne militaire dite « de la frontière » (Border campaign)10. L’objectif est de déclencher une guérilla sur le modèle des rébellions anticoloniales qui commencent en Asie et en Afrique. Tony Magan ne mesure certainement pas, à ce moment précis, que plusieurs de ses jeunes officiers subalternes sont moins influencés par cette stratégie militaire, mais aussi et surtout, que par l’idéologie qu’elle sous-tend.
Écarté, dès 1957, de la direction de l’État-major par ces jeunes activistes fascinés par le marxisme, il tente de se raccrocher aux branches, lui qui est aussi vice-président du Sinn Fein. Mais le modèle qu’il a souhaité, en subordonnant le politique au militaire, se retourne contre lui. Il démissionne du Sinn Fein en 1961. Son départ marque le basculement à gauche de la mouvance nationaliste irlandaise.
Sylvain Roussillon
Source : Lorsque le nationalisme irlandais penchait à droite, Sylvain Roussillon, Réfléchir & Agir, n°75, Automne 2022
Notes :
1 Né en 1893, Russell s’enrôle au sein des Irish Volunteers, un groupe paramilitaire nationaliste ancêtre de l’IRA, en 1913. Il combat durant l’insurrection de la Pâque 1916, puis durant la Guerre d’indépendance et ensuite la Guerre civile. Il est emprisonné à plusieurs reprises après ce dernier conflit. Il décède en 1940 à bord d’un U-Boot allemand.
2 Les sept signataires sont des personnalités importantes de la cause nationaliste irlandaise. Il s’agit de : Seán Ua Ceallaigh, ancien vice-président du Dáil, ancien ministre, président du Sinn Fein de 1926 à 1931, George Noble Plunkett, ancien président du Dáil, ancien ministre, William Stockley, universitaire, Mary MacSwiney, vice-présidente du Sinn Fein de 1927 à 1933, Brian Ó hUigínn, vétéran du soulèvement de 1916, de la Guerre d’Indépendance puis de la Guerre Civile, Cathal Ó Murchadha, président du Sinn Fein de 1935 à 1937, Tom Maguire, vice-président du Sinn Fein de 1935 à 1937, général, vétéran du soulèvement de 1916, de la Guerre d’Indépendance puis de la Guerre Civile. Mort en 1993 à l’âge de 101 ans, Maguire fut le dernier survivant du Second Dáil. À ce titre, il sera appelé à se prononcer sur la rupture entre l’IRA « Provisoire » et l’IRA « Officielle » en 1969. Et de même en 1986, avec la création de la Continuity IRA. À chaque fois, il choisira de soutenir l’option la plus radicale.
3 Durant cette période, 10 civils britanniques sont tués et 98 blessés, tandis que 119 militants de l’IRA sont arrêtés. 6 seront pendus et 3 mourront d’une grève de la faim entamée en prison.
4 Le mode d’organisation mis en place par Russell, sur la base de micro-cellules combattantes, complètement indépendantes les unes des autres, pratiquant un cloisonnement strict, sera repris à l’identique par l’IRA Provisoire pour sa campagne sur le sol britannique à partir de 1974.
5 Membre du Sinn Fein en 1906, engagé dans les Irish Volunteers en 1913, il participe à l’insurrection de 1916. Il est élu député du Sinn Fein en 1918, puis en 1923. Il s’occupe ensuite de politique locale dans sa ville de Cork et milite pour l’enseignement en gaélique.
6 Elle ne compte plus, à ce moment de son histoire, qu’un millier de combattants.
7 L’IRA a mené, de septembre 1942 à décembre 1944 une campagne militaire contre les intérêts militaires britanniques en Ulster, baptisée Northern Campaign. Elle y a laissé trois tués et 320 combattants emprisonnés.
8 Un de ses frères est prêtre, un autre a été volontaire dans les rangs franquistes pendant la Guerre d’Espagne.
9 Société de catholiques laïcs créée en 1921 à Dublin. Exclusivement féminine jusqu’en 1929, elle devient mixte ensuite. La Légion de Marie a un rôle social et caritatif.
10 Il n’y aura évidemment pas de guérilla généralisée. La campagne fait 8 morts dans les rangs de l’IRA, auxquels il faut ajouter 4 civils républicains, contre 6 policiers tués et 32 blessés. En outre, 400 militants républicains sont arrêtés en Ulster et 150 en Irlande.
l’IRA a été cofondée par James Connolly, socialiste marxiste et syndicaliste
L’IRA a toujours attiré et des patriotes marxistes et des nationalistes conservateurs, c’est ce qui a fait sa force, exactement comme l’ETA ou le FLN corse (ou le FLN algérien d’ailleurs)