La Déclaration Balfour de 1917 est une lettre ouverte signée par Arthur Balfour, secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, adressée à Lionel Walter Rothschild, personnalité de la communauté juive internationale et financier du mouvement sioniste, par laquelle le Royaume-Uni se déclare en faveur de l’établissement en Palestine d’« un foyer national pour le peuple juif ». Un cas d’école d’influence internationale communautaire…
La déclaration de Balfour fait 129 mots en tout et pour tout, date et formule de politesse comprises, comment se fait-il qu’elle soit restée dans l’histoire alors qu’elle n’est au fond rien de plus qu’un de ces accords qui ont pu être passés entre le général Custer et Sitting Bull pour définir les limites d’une réserve indienne ?
Attention, il ne s’agit pas ici de retracer les péripéties de la déclaration de Balfour pour le seul plaisir de redresser l’histoire en faveur du rôle joué par la France dans les événements de l’époque – il n’y a pas grande fierté à tirer de cet épisode – mais le fait est que si la déclaration du malheureux Jules Cambon n’était pas tombée dans l’oubli, c’est-à-dire, si les gens avaient pleinement conscience du fait qu’une déclaration similaire à celle de Balfour avait été faite cinq mois auparavant, dans un autre pays, en l’occurrence la France, le petit jeu des tractations internationales de la communauté juive sauterait aux yeux de tout le monde.
De plus, il est possible que les deux déclarations aient une origine commune, l’accord Sykes-Picot signé en secret le 16 mai 1916 – c’est-à-dire dans ce même contexte de la Première Guerre mondiale: d’un point de vue français, le lien entre les deux est évident, si c’est Jules Cambon qui, en tant que secrétaire général du Quai d’Orsay, s’est chargé de faire une déclaration du type de celle de Balfour, c’est son frère cadet, Paul Cambon, qu’on retrouve dans la délégation de Picot pour négocier avec Sykes, et l’optique des deux frères, comme celle de Sykes, était essentiellement colonialiste, pas sioniste.
I – À tout seigneur tout honneur, commençons par la version anglaise de la déclaration de Balfour
Celle-ci était censée venir en remerciement d’une contribution d’une importance cruciale pour la Royal Navy de la part du chimiste Chaim Weizmann – qui deviendra, comme on sait, le premier président d’Israël – voici à ce sujet ce qu’on trouve sur Wikipédia:
Tandis qu’il était chercheur à l’université de Manchester, Weizmann s’est fait remarquer en découvrant qu’il était possible d’utiliser la fermentation bactérienne pour décupler en quantité industrielle la production d’acétone, et l’acétone, c’est ce qui servait à faire la cordite, l’explosif qui faisait partir les obus des canons de marine de la Royal Navy. L’intérêt de la découverte n’a bien sûr pas échappé à Winston Churchill, Premier Lord de l’Amirauté, et début 1915, David Lloyd George, ministre des munitions, se joignait à lui en donnant son aval pour le développement du procédé. L’importance de ses travaux a ouvert à Weizmann les portes des plus éminents membres du Cabinet, lui permettant de faire valoir les aspirations de la cause sioniste.
L’un de ces membres éminents n’étant autre que Sir Arthur Balfour, lequel avait pris la place de Churchill à la tête de l’amirauté suite au désastre des Dardanelles. Balfour était tout aussi conscient de l’importance de la contribution de Weizmann à la flotte.
[Dr. Chaim Weizmann a isolé dans ces éprouvettes une bactérie, la Clostridium acetobutylicum, capable d’accélérer la fermentation de l’amidon (facilement disponible dans le maïs ou les pommes de terre) pour produire de l’acétone et l’alcool butylique. (Notons au passage que Weizmann s’était formé en chimie en Allemagne, un exemple intéressant de gratitude et de loyauté dans l’allégeance des membres de la petite communauté internationale – sauf à considérer que le fait qu’il ne parle pas d’un certain sujet hautement sensible dans ses mémoires, sujet dont il était pourtant bien placé pour parler en tant que chimiste, comme une sorte de loyauté.) Chaim Weizmann’s acetone patent turns 100 | A centennial of entrepreneurship | WeizmannCompass]
Le problème de cette version, c’est qu’elle est un peu trop centrée judéo-britannique, on peut facilement s’y laisser prendre étant donné, qu’après tout, Balfour était Anglais (pardon, Écossais). Mais elle a un gros point faible, elle n’explique pas pourquoi le Royaume-Uni se serait soucié du sort de la Palestine à un moment où il était engagé dans une lutte à mort avec le Second Reich.
II – Venons-en à la théorie de Benjamin Freedman
La déclaration de Balfour serait en réalité le résultat de tractations entre la Grande-Bretagne et les Juifs d’Amérique, ces derniers offrant d’user de leur influence pour faire basculer le public et les autorités américaines en faveur de l’entrée en guerre en échange d’une déclaration sur la Palestine. Voici un extrait d’une conférence de Freedman devant les cadets de l’US Navy en 1974 :
… Les Juifs étaient bien contents quand l’Allemagne gagnait la guerre, ils ne voulaient pas que la Russie sorte gagnante aux côtés de la France et de l’Angleterre parce qu’ils pensaient que cela aggraverait la situation de leurs coreligionnaires dans le pays. Ils étaient donc tous pro-Allemand au départ, alors que s’est-il passé? C’est quand les Allemands ont commencé à sortir leurs sous-marins … Panique à Londres, le général Haig alertait les Anglais de la situation: «Nous n’avons plus que deux semaines de réserves alimentaires devant nous pour un pays de 55 000 000 d’habitants»… Et alors l’Allemagne s’amenait avec son traité de paix … Le traité était sur le bureau du British War Cabinet, il n’y avait plus qu’à le signer…. De nouveau, que s’est-il passé? Les Khazars de New York et de Washington, emmenés par Brandeis, ont fait cette offre en passant par la Fleischman & Sockloff de Londres. Ils sont allés au War Cabinet et ils leur ont dit: «Pas besoin de signer une paix de capitulation, il y a un moyen de gagner la guerre, mais il vous faudra, une fois que vous aurez vaincu l’Allemagne et dépecé l’Empire Ottoman, nous donner la Palestine. Et ils ont conclu le marché par écrit, c’était la déclaration de Balfour. … La contrepartie de la Palestine, c’était la promesse d’user de leur influence pour jeter les États-unis dans la guerre. C’est ainsi qu’ils vont remercier les États-unis, de la même manière qu’ils vont remercier l’Allemagne, après tout ce qu’elle avait fait pour eux depuis 1822, en les faisant se battre entre eux, ce qui signifiait évidemment la défaite de l’Allemagne alors qu’elle était en train de gagner et pouvait espérer une paix avantageuse.
En plus d’être cette fois un peu trop centrée Judéo – américaine, cette version non plus n’est pas exempte de défaut en ceci qu’elle ne cadre pas avec la chronologie des événements. La déclaration de Balfour est datée du 2 novembre 1917, or, à cette date, le transfert des troupes américaines en Europe est déjà bien avancé, la déclaration de guerre des États-Unis à l’Allemagne remontant elle-même au 6 avril 1917.
Bien sûr, on pourrait se contenter de dire qu’il ne faut pas s’arrêter à une chronologie trop précise, il est clair que le 2 novembre 1917, l’Angleterre avait d’autres chats à fouetter que de s’occuper de la Palestine et que cette déclaration tombait un peu comme un cheveu sur la soupe, n’était-ce justement cette négociation urgente de l’intervention américaine en échange de la Palestine dont parle Freedman.
III – Mais nous avons mieux que ça, pour ne pas être en reste, voici à présent la version judéo-française
Le 4 juin 1917, Jules Cambon, Secrétaire Général du Quai d’Orsay (dont le frère cadet, Paul, avait été ambassadeur à Londres pendant les négociations Sykes/Picot, signés en secret le 16 mai 1916), publie une lettre ouverte à Nahum Sokolov, représentant de l’Organisation Sioniste Mondiale en France (Aristide Briand était encore Président du Conseil) :
Vous estimez que si les circonstances le permettent et l’indépendance des Lieux Saints étant assurée d’autre part, ce serait faire œuvre de justice et de réparation que d’aider à la renaissance, par la protection des Puissances alliées, de la nationalité juive sur cette terre d’où le peuple d’Israël a été chassé il y a tant de siècles.
Le peuple français qui est entré dans la présente guerre pour défendre un peuple injustement attaqué et qui poursuit la lutte pour assurer le triomphe du droit sur la force, ne peut éprouver que de la sympathie pour votre cause dont le triomphe est lié à celui des alliés.
Je suis heureux en vous en donner ici l’assurance.
Ci-dessus, Paul Cambon, qui participe aux négociations de la ligne Sykes-Picot le 16 mai 1916 et, ci-dessous, son frère aîné, Jules Cambon, qui fait une déclaration en faveur de la création d’Israël le 4 juin 1917.
Et là, la chronologie cadre déjà beaucoup mieux, voici deux entrées qu’on trouve dans les carnets de Raymond Poincaré, président de la République de 1913 à 1920 :
13 Juin 1917 Pershing arrive à Paris :
Le général américain Pershing est arrivé à Paris à la fin de l’après-midi. Le colonel Renoult, de ma maison militaire, est allé au-devant de lui à la gare. Il me dit que l’accueil a été très chaleureux.
4 juillet 1917, revue d’un premier bataillon américain le jour de la fête nationale américaine :
Dans la matinée, cour des Invalides, revue d’un bataillon américain, qui vient d’arriver à Paris. Painlevé vient me chercher à l’Élysée et nous partons tous deux en victoria. Le général Duparge, le colonel de Rieux et le commandant Helbronner nous suivent en landau. Sur le pont Alexandre III et sur l’esplanade, foule très dense et unanimement enthousiaste.
Nous arrivons devant l’Hôtel des Invalides et nous mettons pied à terre. Nous sommes reçus par le général Pershing et le général Dubail. Nous entrons dans la cour, autour de laquelle sont rangés les soldats américains et une compagnie française.
Sous les arcades et au premier étage, dans les galeries, beaucoup de spectateurs et spectatrices qui applaudissent. Nous passons devant les troupes qui ont très bon air dans leurs uniformes kaki.
Autrement dit, Pershing et le premier détachement américain arrivent après la déclaration de Jules Cambon du 4 juin 1917. Notons comme Combon fait remarquer dans sa déclaration que « votre cause dont le triomphe est lié à celui des alliés » et comme on a envie d’ajouter et réciproquement.
Il est très étrange, étant donné que Poincaré avait été le ministre des Affaires étrangères juste avant la guerre, pendant la période cruciale de montée des tensions, un poste qu’il avait occupé de main de maître, de l’avis général, y compris des Alliés et des ennemis, qu’on ne trouve rien dans ses carnets à cette date, ou autour de cette date, au sujet de la lettre de Cambon. Que ce soit, comme beaucoup de politiciens à l’époque, par exemple, Howard Taft en Amérique, qu’il ne réalisait pas l’ampleur de la montée en puissance de la communauté juive, ou que ce soit, au contraire, à l’instar d’un Woodrow Wilson, qu’il n’en était que trop conscient et qu’il n’osait pas en parler ouvertement, le fait est que la situation immédiate était très préoccupante avec l’arrivée en renfort des divisions allemandes en provenance du front russe désormais inactif, pour couronner le tout, c’était l’époque des mutineries :
3 juin 1917 :
[…] En comité secret, Augagneur [Sic], si ferme et si optimiste au début de la guerre, a prononcé un discours de découragement et de paix immédiate, répétant qu’il n’y avait plus à compter sur la Russie et que l’Amérique arriverait trop tard, que tout était perdu. Il a cependant était applaudi par un bon cinquième de la Chambre.
[…] Nouveaux incidents pénibles sur le front. Le Colonel Fournier m’informe qu’une division du 21e corps a délibéré sur le point de savoir si elle consentirait à monter aux tranchées et à reprendre l’offensive. Elle a décidé d’aller aux tranchées, mais de se tenir sur la défensive; une autre division, celle du 7e corps, a refusé de se rendre aux tranchées. Le général Pétain recherche les meneurs, qu’il croit en rapport avec la Confédération générale du travail, et il ne reprendra pas son commandement, si l’on ne prend pas des mesures contre la propagande pacifiste.
Il était donc temps que les Américains arrivent, heureusement, les négociations avaient démarré plus tôt encore, voici de nouveau la chronologie qu’on trouve dans les mémoires de Poincaré :
15 mai 1916 :
Victor Basch, que j’ai prié de passer à mon cabinet, me donne ses impressions d’Amérique. Il y a trouvé les Israélites très hostiles à la Russie mais favorable à la France; il a réussi à pénétrer parmi eux; il leur a fait des conférences; il a acquis l’assurance que la maison Jacob Schiff consentirait à placer pour les Alliés un emprunt de 250 millions de dollars, si la Russie accordait quelques avantages aux Israélites.
1 – Poincaré ne le précise pas, mais Victor Basch est lui-même un Israélite, le 4 juin 1898, suite à l’affaire Dreyfus, il fait partie des fondateurs de la Ligue des Droits de l’Homme, il en sera le 4e président, remarquez bien, ligue des droits de l’homme, pas des Français, nuance.
2 – Quels sont ces avantages que la Russie devrait accorder aux Israélites ? Le droit d’émigrer en Palestine, par exemple ?
3 – On peut le penser, car, le 15 mai 1916, nous sommes précisément à la veille de la signature de l’accord Sykes/Picot, Poincaré, avec sa franchise toute relative, surtout lorsqu’il s’agit des Israélites, ne nous en souffle pas un mot, pourtant, cet accord secret est sans doute à l’origine des deux déclarations, celle de Cambon et celle de Balfour. Sur la carte qui trace la ligne de séparation entre la zone d’influence française et la zone d’influence anglaise, on remarque une petite tache jaune en bas à gauche là où auparavant il n’y avait rien de spécial, rien d’autre qu’une petite partie de l’Empire ottoman même pas identifiée en tant que telle; il paraît à peu près évident que les deux sujets – Sykes-Picot et Cambon-Balfour – à un an d’intervalle entre les deux même pays, dans le même contexte de la Première Guerre mondiale, ne sont pas entièrement déconnectés, voici d’ailleurs une entrée très intéressante à cet égard, trois semaines après ces accords Sykes-Picot:
8 juin 1916 :
Edmond de Rothschild me parle des Juifs de Russie. Il me dit qu’avant de s’intéresser à eux, il tient à sauvegarder l’alliance, mais il a remarqué que M.Protopopoff était tout disposé à améliorer leur sort et il voudrait que le gouvernement français, avec toute la prudence nécessaire, intervînt en leur faveur. J’insiste sur ce que cette intervention a de délicat. Je lui dis toutefois que j’amènerai la conversation sur ce sujet lorsque je reverrai M. Protopopoff, mais celui-ci n’est pas ministre; il peut seulement le devenir
1 – Noter au passage comme les Israélites ont facilement accès au Président de la République, en plus, pour intervenir directement dans la politique étrangère en temps de guerre, alors que dans le même temps, une laïcité sourcilleuse l’empêche de rencontrer aussi aisément la hiérarchie catholique, [voir 1917 : le Rond-point Poincaré]
2 – Encore plus troublant, c’est tout l’intérêt du passage, on peut se demander si les “Juifs de Russie” étaient bien le seul sujet de préoccupation d’Edmond de Rothschild, est-ce que le sujet complet ne serait pas plutôt, par le plus grand des hasards, “Le transfert de ces Juifs de Russie vers la Palestine” ? Or, toujours pas pure coïncidence, on sait que la déclaration de Balfour a été remise par ce dernier au Rothschild de Londres.
3 – Quant aux liens entre les Rothschild et les Schiff, ils sont très anciens, les deux familles ont longtemps cohabité dans le quartier juif de Frankfort dans une sorte de grande maison jumelée, le côté Rothschild étant marqué d’un écusson rouge, le côté Schiff d’un bateau, d’où les noms des deux familles (rote = rouge, schild = bouclier et Schiff = bateau, tout ça est d’ailleurs très proche de l’anglais, il n’est même pas nécessaire d’être germaniste pour le voir).
Terminons par ces quelques entrées où tout se précipite, toujours du carnet de Poincaré.
4 février 1917 :
Jules Cambon téléphone à l’Élysée que M. Sevastopoulo a reçu de l’ambassadeur de Russie à Washington avis que le président Wilson a réuni une commission composée de quelques amis et qu’il y a examiné trois points:
1 – négociations entre les États-Unis et l’Allemagne
2 – attente d’un nouveau torpillage avant toute décision
3 – rupture immédiate des relations diplomatiques.
Wilson aurait choisi ce dernier parti. Des télégrammes de presse disent qu’il aurait envoyé un nouveau message au Sénat et déclaré qu’il allait remettre ses papiers à l’ambassadeur d’Allemagne en faisant appel aux neutres. Si ces nouvelles sont exactes, le concours des États-Unis va être pour nous un appoint moral inappréciable.
Dommage, Poincaré ne nous donne pas les noms des « amis » en question, mais on peut songer à quelques pistes …
31 mars 1917 : rencontre avec le prince Sixte qui a remis, en vue d’éventuelles négociations de paix, un message de l’Empereur Charles d’Autriche à Poincaré et à Cambon (secrétaire général du Quai d’Orsay), Sixte de Bourbon-Parme leur laisse aussi une note personnelle faisant allusion au changement de régime à Petrograd :
Jusqu’au changement de régime qui vient de se produire à Petrograd, l’opinion russe paraissait, en effet, unanime à réclamer la possession de Constantinople comme une condition essentielle du développement de l’Empire moscovite. Mais les sentiments du gouvernement russe actuel marquent dès maintenant des divergences à cet égard. Si le ministre des Affaires étrangères M. Milioukov, garde le point de vue précédent, qui était celui d’une annexion de Constantinople à la Russie, son collègue, M. Kerensky, reflète l’opinion nouvelle que la Russie doit renoncer à tout agrandissement: dans ce cas, la Turquie pourrait garder sa capitale dont il suffirait de combiner le régime avec un statut international européen.
5 avril 1917 : échange de télégrammes entre Poincaré et Wilson :
La chambre des députés a adopté une résolution analogue à celle du Sénat. Pour protéger les Américains contre les attentats dont ils restent menacés, Wilson a fait armer des torpilleurs qui ont été dirigé vers les eaux américaines. L’un d’eux vient d’être coulé dans la Manche par un sous-marin allemand.
Ribot prononce à la Chambre sur la détermination américaine un discours très applaudi.
Je télégraphie, de mon côté, au président Wilson. M. William Martin communique le télégramme que j’ai rédigé à Ribot, qui y donne sa pleine adhésion :
« Au moment, dis-je, où sous la généreuse inspiration de votre Excellence, la grande République américaine, fidèle à son idéal et à ses traditions, s’apprête à défendre par les armes la cause de la justice et de la liberté, le peuple français tressaille d’une émotion fraternelle. Laissez-moi vous renouveler, monsieur le Président, à cette heure grave et solennelle, l’assurance des sentiments dont je vous ai récemment adressé le témoignage et qui trouve dans les circonstances présentes un accroissement de force et d’ardeur. Je suis sûr d’exprimer la pensée de la France tout entière en vous disant, à vous et à la nation américaine, la joie et la fierté que nous éprouvons à sentir nos cœurs battre, une fois encore, à l’unisson avec les vôtres. Cette guerre n’aurait pas eu sa signification totale, si les États-Unis n’avaient pas été amenés par l’ennemi lui-même à y prendre part.
Dorénavant, il apparaît plus que jamais à tout esprit impartial que l’impérialisme allemand, qui a voulu, préparé et déclaré la guerre, avait conçu le rêve insensé d’établir son hégémonie sur le monde. Il n’a réussi qu’à révolter la conscience de l’humanité. Vous vous êtes fait devant l’univers, en un langage inoubliable, l’éloquent interprète du droit outragé et de la civilisation menacée. Honneur à vous, Monsieur le Président, et à votre noble pays.
Je vous prie de croire à mon amitié dévouée.
Raymond Poincaré »
Réponse de Wilson :
« His Excellence Raymond Poincaré, President of the Republic, Paris.
In this trying hour when the destinies of civilized mankind are in the balance, it has been a source of gratification and joy to me to receive your congratulations upon the step which my country has been constrained to take, in opposition to the relentless policy and course of imperialistic Germany. It is very delightful to us that France who stood shoulder to shoulder with us of the western world in our struggle for independence, should now give us such a welcome into the lists of battle as upholders of the freedom ant the rights of humanity. We stand as partners of the noble democraties whose aims and acts make for the perpetuation of the rights and freedom of man and for the saveguarding of the true principales of human liberties in the name of the american people. I salute you and your illustrious countrymen.
Woodrow Wilson »
Le journal officiel du 11 avril 1917 a donné dans les termes suivants la traduction française de ce télégramme :
« Son Excellence Monsieur Raymond Poincaré, Président de la République, Paris.
En cette heure critique où les destinées de l’humanité civilisée sont en suspens, cela a été pour moi un sujet de satisfaction et de joie de recevoir vos félicitations à propos de la conduite que mon pays a été contraint d’adopter, en opposition à la politique impitoyable et aux procédés de l’Allemagne impérialiste. Il nous est très agréable que la France, qui s’est tenue coude à coude avec nous autres, hommes du monde occidental, dans notre lutte pour l’indépendance, nous souhaite ainsi la bienvenue aujourd’hui dans les rangs de ceux qui combattent pour la défense de la liberté et des droits de l’humanité. Nous voici debout comme champions des nobles démocraties dont les desseins et les actes contribueront à perpétuer les droits de l’indépendance de l’homme et à sauvegarder les vrais principes des libertés humaines.
Au nom du peuple américain, je vous salue, vous et vos illustres compatriotes.
Woodrow Wilson »
Conclusions
Le point commun des trois versions, l’anglaise, l’américaine, la française, c’est bien sûr la communauté juive internationale, les trois versions, déjà à l’époque, rendent caduc l’accord Sykes – Picot dans ce qu’il comporte de perspectives colonialistes et de toute façon, une seule des trois prévaudra dans l’histoire universelle : le10 février 1918, par l’intermédiaire de son propre ministre des Affaires étrangères, Stephen Pichon, la France s’associe à la déclaration devant le Parlement de Lord Arthur Balfour, ministre britannique des Affaires Étrangères, laquelle est consacrée officiellement par le traité de Sèvres du 10 août 1920.
À cette date, Raymond Poincaré est sans doute toujours persuadé que les Juifs n’auront été qu’un pion dans sa guerre contre l’Allemagne et dans l’extension de l’Empire colonial français au Moyen-Orient, pas un instant l’idée ne l’a effleuré que dans l’histoire, il va s’avérer l’inverse, que c’est la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, les USA et la Russie qui auront été des pions dans l’histoire d’Israël.
Qu’on réalise bien ceci, il aura fallu deux guerres mondiales pour que l’État d’Israël voit le jour :
1 – Sans la Première Guerre, pas de déclaration de Balfour, pas de démantèlement de l’Empire ottoman (préalable indispensable à l’installation des Juifs en Palestine).
2 – Et sans la Seconde Guerre, pas d’Israël.
Annexe, la déclaration de Balfour :
November 2nd, 1917
Dear Lord Rothschild,
I have much pleasure in conveying to you, on behalf of His Majesty’s Government, the following declaration of sympathy with Jewish Zionist aspirations which has been submitted to, and approved by, the Cabinet.
« His Majesty’s Government view with favour the establishment in Palestine of a national home for the Jewish people, and will use their best endeavours to facilitate the achievement of this object, it being clearly understood that nothing shall be done which may prejudice the civil and religious rights of existing non-Jewish communities in Palestine, or the rights and political status enjoyed by Jews in any other country. »
I should be grateful if you would bring this declaration to the knowledge of the Zionist Federation.
Yours sincerely,
Arthur James Balfour