L’ancien secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a été nommé co-président de l’influent « think tank » mondialiste Bilderberg, qui convoque chaque année une conférence politique transatlantique et dont l’influence sur les décideurs et les événements mondiaux n’est plus à démontrer.
Stoltenberg, ancien Premier Ministre norvégien, après plus d’une décennie à la tête de l’OTAN présidera donc le forum de discussion prééminent du Bilderberg : un événement de quatre jours très privé, fréquenté par les éminents ministres, les commissaires de l’UE, les patrons de banque, les PDG d’entreprises et les chefs de renseignement… En février, Stoltenberg prendra également la présidence de la Conférence de Munich sur la sécurité, un autre important symposium sur la défense et la diplomatie.
Sa nomination au poste de coprésident de Bilderberg cimente le rôle du groupe au cœur de la stratégie transatlantique. Et avec un autre vétéran du Bilderberg, l’ancien Premier Ministre néerlandais Mark Rutte, qui le remplace au secrétariat général de l’OTAN, il marque une concentration du contrôle au sommet de l’Alliance atlantique à un moment critique.
Le mandat de Stoltenberg à l’OTAN était dominé par le conflit russo-ukrainien, qui avait véritablement commencé à peine avant son entrée en fonction en 2014. Stoltenberg a supervisé ce qu’il a récemment décrit comme « le plus grand renforcement de notre défense collective d’une génération », notant avec fierté que « les dépenses de défense sont sur une trajectoire ascendante à travers l’alliance ».
Et un certain nombre de ses nouveaux collègues au Bilderberg ont bien bénéficié de cette hausse des dépenses militaires. En effet plusieurs des 31 membres du comité de pilotage du groupe ont des rôles de haut niveau dans les industries de la défense. L’ancien patron de Google, le milliardaire, Eric Schmidt, a présidé la récente Commission de sécurité nationale sur l’IA, et est maintenant occupé à lancer une société de drones kamikazes destinée au lucratif marché ukrainien. Pendant ce temps, Marcus Wallenberg, industriel suédois, très riche, président de Saab, a bénéficié d’une augmentation de 71 % des commandes au cours des neuf premiers mois de 2024, en grande partie à cause de l’ingérence occidentale dans le conflit russo-ukrainien. Peter Thiel, entrepreneur de la technologie et homme de Donald Trump, a fondé la société de robotique à croissance rapide Anduril et le géant de la surveillance et de l’IA Palantir. Son fidèle lieutenant Alex Karp, PDG de Palantir, a été élu au conseil d’administration de Bilderberg il y a quelques années. Karp, qui affirme que sa société est « responsable de la majeure partie du ciblage en Ukraine », a récemment déclaré au New York Times que les États-Unis « très probablement » mèneront bientôt une guerre de trois fronts avec la Chine, la Russie et l’Iran.
Otan, le rhabillage de la menace
À certains égards, l’état d’esprit géopolitique d’aujourd’hui n’est pas si différent de ce qu’il était dans les années 1950, quand le think tank Bilderberg a été créé. L’ordre du jour de la première réunion du Bilderberg en 1954 traitait « de l’attitude à l’égard du communisme et de l’Union soviétique », le rapport de la conférence « strictement confidentiel » faisant référence à plusieurs reprises à « la menace communiste ». Soixante-dix ans plus tard, au dernier sommet de Madrid, la principale menace désignée était « la Russie », et le thème s’est imposé à l’ordre du jour de la conférence « l’Ukraine et le monde » et « l’avenir de la guerre ».
On se demande quand même où sont aujourd’hui le Parti communiste d’Union soviétique, son Politburo, son Komintern et ses sections locales (les Partis communistes locaux), sa Tchéka et ses Goulags… ? Le pseudo-dissident Karza-Murza, tout juste relâché de prison par la Russie et expulsé en septembre 2024, lors de sa première conférence de presse à Berlin, parlait d’un millier de prisonniers politiques en Russie (pour 143 millions d’habitants). C’est maigre. Les statistiques divisent les historiens, mais depuis l’ouverture des archives soviétiques en 1989, selon certains, 10 à 18 millions de personnes séjournèrent dans les camps du Goulag (1,6 million de détenus y mourant, victimes de maladies et de traumatismes provoqués par la faim, l’épuisement et le froid, ou sous les balles des gardiens) et plusieurs millions furent exilées ou déportées dans diverses régions de l’Union soviétique. D’autres, comme Nicolas Werth et Luba Jurgenson, évoquent les chiffres de 20 millions de détenus et 4 millions de morts entre 1929 et 1954, dans leur ouvrage de 2017 « Le Goulag ». Rien de tout ça en 2024 en Fédération de Russie…
Alors, pour crédibiliser à nouveau la menace dans l’Europe du XXIe siècle, l’Alliance atlantique qui était confrontée à « l’émergence de l’impérialisme communiste » en 1954 (réelle celle-là à l’époque), habille aujourd’hui l’épouvantail en ce que Stoltenberg appelle « l’axe émergent des autocrates », incluant la Russie, la Chine, l’Iran, la Corée du Nord… en réalité les rebelles au « Nouvel Ordre Mondial » théorisé par les néo-conservateurs et impérialistes Yankee de l’époque soviétique et post-soviétique.
Prolonger l’esprit de « guerre froide » contre la Russie permet de garder l’Europe divisée et les parties Est et Ouest sous contrôle atlantiste, pour prévenir l’une des plus grande crainte de l’État profond américain et son oligarchie : l’Europe puissance de Brest à Vladivostok…
Bilderberg et l’État profond américain
Lors d’une réunion à Madrid l’été dernier, où étaient présents Stoltenberg et son successeur en tant que secrétaire général de l’OTAN, Rutte, ils étaient accompagnés d’une palanquée de hauts fonctionnaires du Pentagone et du deuxième chef militaire le plus éminent de l’OTAN, le général américain Chris Cavoli, commandant suprême allié en Europe.
Car Bilderberg a toujours eu des liens étroits avec l’armée : ses fondateurs comprenaient de hauts responsables du renseignement britannique et américain, et un ancien dirigeant de l’OTAN, Lord Carrington, a présidé le groupe de 1990 à 1998. Et la figure la plus dominante à Bilderberg au cours des dernières décennies a été le grand stratège particulièrement belliciste, Henry Kissinger, le « génie de la politique étrangère » criminel de masse et de guerre…
Bilderberg prospère grâce à une diplomatie discrète au sein des réseaux de « l’élite » et du monde du renseignement et de l’intelligence économique et financière : un ancien chef du MI6, Sir John Sawers, est membre du comité directeur du groupe et l’actuel chef de la CIA, William Burns, était membre avant de démissionner au moment de sa prise de fonction.
Continuité de la diplomatie bi-partisane du Bilderberg
Ce que l’on sait avec certitude, c’est que Stoltenberg axera son mandat sur le développement des technologies militaires et le renforcement des liens transatlantiques. Même avec l’arrivée de Trump à la Maison Blanche et la politique étrangère des États-Unis modelée sur l’agenda « America first », Stoltenberg sait qu’il a une ligne téléphonique d’urgence vers la Maison Blanche par l’intermédiaire de Peter Thiel : le nouveau vice-président, JD Vance, a travaillé pour Thiel chez Mithril Capital, et une poignée d’homme du réseau de Thiel sont en tête de liste pour des postes de haut niveau dans la deuxième administration Trump.
C’est bien le problème avec la diplomatie bi-partisane du Bilderberg : ils ont toujours quelqu’un à l’intérieur, pour continuer à faire partie des influents. Par exemple, Karp, le PDG de Thiel chez Palantir, était un grand soutien de Kamala Harris. En regardant la liste des membres du comité de pilotage du Bilderberg, on trouve par exemple Nadia Schadlow, ancienne conseillère adjointe à la sécurité nationale de Trump, ou encore Stacey Abrams, femme politique et militante démocrate de haut niveau. Dans un éditorial de novembre dernier du Financial Times, Stoltenberg soulignait le caractère bipartisan de l’Alliance transatlantique : « Le soutien et la fierté à l’alliance militaire la plus puissante que le monde ait jamais vu restent forts de tous les horizons politiques. »
Ainsi, tous les grands « tycoons » (magnats, oligarques) de la haute finance invités au Bilderberg de Stoltenberg peuvent s’attendre à obtenir de juteuses retombées sur les investissements militaires et de défense.
Seule inflexion possible : l’arrivée de Stoltenberg pourrait marquer un changements dans la communication du think tank. Bilderberg n’a pas tenu de conférence de presse depuis des décennies, mais Stoltenberg est plutôt un habitué des réunions d’information et des questions-réponses, plus que l’homme qu’il remplace, l’économiste néerlandais et conseiller de Goldman Sachs, Victor Halberstadt, récemment décédé.
Finalement Stoltenberg avec son réseau doit sans doute se réjouir dans les coulisses transatlantiques d’avoir poussé à nouveau l’Europe sur le chemin de la guerre en Ukraine et aux frontières du monde russe, d’avoir réhaussé l’Alliance atlantique sur le devant de la scène politico-militaire, avec en conséquence le ruissellement des milliards d’investissement dans les industries technologiques et de défense pour ses amis.
Un projet qui pourrait être contrarié par celui de la multipolarité porté par les dissidents du Nouvel Ordre Mondial, et qui explique donc la forte opposition manifestée par les États-Unis et leurs valets européens, à l’exception du Hongrois Orban et du Slovaque Fico mais qui ne pèsent rien dans les équilibres de pouvoir du monstre bureaucratique qu’est l’Union européenne. D’où la guerre hybride (à base de sanctions internationales énergétiques, bancaires, économiques, diplomatiques, culturelles…) déclenchée à l’encontre de la Russie et l’offensive médiatique russophobe de sidération menée à l’encontre des opinions publiques.